L'explorateur inconnu de la Nouvelle-Zélande
Une épave serait la trace d’une exploration de la Nouvelle-Zélande avant celle du capitaine Cook
Au XVIIᵉ siècle, les navigateurs hollandais règnent sur les océans. C’est d’ailleurs un de leurs compatriotes, Abel Tasman, qui est le premier occidental à découvrir la Nouvelle-Zélande. Mais sa rencontre avec ce pays, en 1642, est de courte durée. Car lors de son premier contact avec les Maoris, ceux-ci attaquent un de ses canots et tuent quatre de ses marins. Le lendemain, les Hollandais font feu sur des pirogues maoris. C’en est trop. Jugeant la contrée résolument inhospitalière, Tasman ne tarde pas à lever l’ancre.
Et puis on laisse les Maoris tranquilles. Plus d’un siècle s’écoule avant qu’ils ne voient arriver un autre navire européen. En l’occurrence, celui du Britannique James Cook, envoyé par l’académie des sciences de son pays, qui arrive en Nouvelle-Zélande en 1769. C’est avec lui en effet que débute véritablement l’exploration du pays par les Européens.
Mais quelques décennies après la mort de Cook, une polémique éclate. Les succès hollandais et britanniques dans le Pacifique sont remis en cause. Selon une nouvelle hypothèse, qui s’avérera plutôt douteuse, ils auraient été précédés dans la région par les Portugais.
L’objet du délit : les « cartes de Dieppe » du XVIᵉ siècle dont les auteurs avaient dessiné une ligne de côte qui pouvait ressembler au nord-est de l’Australie, inconnue à l’époque. Or les noms des localités sur cette carte n’étaient ni anglais, ni néerlandais, mais portugais. Or les XVe et XVIᵉ siècle sont justement la grande époque des explorateurs portugais, de Vasco de Gama à Magellan. Seulement, il n’existe aucun indice d’une telle exploration. Et les cartographes normands utilisaient souvent des noms portugais, tout simplement parce que la science nautique de ces derniers était alors une référence incontournable.
Pour spéculative qu’elle soit, cette théorie a eu au moins le mérite de poser publiquement la question d’éventuels devanciers à Tasman ou à Cook. Une interrogation d’ailleurs soulevée par le marin britannique lui-même. En effet, lorsque Cook explora la Nouvelle-Zélande, il recueillit les témoignages de Maoris qui affirmaient qu’un navire avait fait naufrage sur leurs côtes, et que les survivants avaient été tués et mangés par certaines tribus. D’autres témoignages d’Européens ayant séjourné sur l’île, font état eux aussi du naufrage d’un navire, quelques décennies avant l’arrivée de Cook (lien en anglais).
Alors, y avait-il eu des explorateurs entre Abel Tasman et James Cook ? La question est évidemment d’importance pour les Néo-Zélandais, et les historiens en débattent depuis plus d’un siècle. Mais jusqu’ici, l’archéologie n’avait pas vraiment pu y apporter grand-chose. Car les quelques indices supposés d’incursions européennes antérieures à Cook reposaient sur des dates trop peu fiables pour être confirmés.
Découverte de l’épave
Mais une équipe de chercheurs australiens et néo-zélandais − entre autres −, vient de faire une avancée prometteuse. Ils ont en effet daté les planches d’une épave mise à jour en Nouvelle-Zélande. Or celle-ci se situe entre la venue de Tasman et celle de Cook.
La découverte remonte à 1982. Sur la côte nord du pays, deux membres de l’équipe actuelle mettent au jour une partie de la coque d’un bateau, préservée sur près de vingt-cinq mètres. Ils en retirent une pièce, et font identifier les bois, du tek et un autre arbre tropical. Ils contactent alors les autorités néo-zélandaises pour lancer des fouilles de sauvetage. Refus de celles-ci, qui n’y voient qu’une énième épave, fréquentes dans cette zone. Puis, au fil des années, le sable recouvre la coque.
[ Trente ans plus tard, les archéologues rouvrent le dossier. Par chance, l’une des pièces de bois, conservée dans un musée, se prête particulièrement bien à la datation. Les charpentiers l’ont en effet taillé dans une bonne partie du tronc : la plupart des cernes de l’arbre sont identifiables. En combinant cette donnée avec des datations au carbone 14, l’équipe peut estimer la date à laquelle l’arbre a été abattu. Et de là, remonter à celle de la construction du bateau. Car au vu des habitudes des chantiers navals de l’époque, il est peu probable que le bois ait été entreposé plus d’une dizaine d’années avant d’être utilisé. Ce qui place la construction du bateau à peu près entre 1695 et 1715.
Mais pour estimer la date du naufrage, il reste alors aux chercheurs à évaluer depuis combien de temps le bateau naviguait. D’après les registres administratifs et les différents textes de l’époque, les flottes perdaient souvent près d’un navire sur dix chaque année. Non seulement parce que les vaisseaux coulaient, mais aussi parce qu’ils étaient extrêmement sensibles au taret, sorte de ver marin qui creuse le bois des coques. Bref, il était rare que les bateaux de l’époque survivent au-delà de vingt ans. Ce qui place le naufrage de l’épave vers 1735 au plus tard, soit plus de trente ans avant l’arrivée du capitaine Cook.
Mais attention. L’épave vient-elle vraiment d’un naufrage ? Ou s’agit-il plutôt d’une vieille coque de noix, à la dérive depuis des années, qui se serait échouée là ? En fait, c’est peu probable, selon des analyses de l’équipe.
C’est ce qu’indique en effet un programme scientifique qui étudie la dérive et les courants océaniques dans les mers australes. Dans ce programme, des chercheurs ont mis à l’eau tout un ensemble de flotteurs, qu’ils ont ensuite suivi à la trace. Leurs résultats montrent qu’une épave échouée à cet endroit ne peut venir que du voisinage immédiat de la Nouvelle-Zélande, ou de zones où ne s’aventuraient pas les bateaux européens à l’époque, comme les eaux de l’Antarctique. Cette dernière hypothèse est d’autant moins vraisemblable que le bois de l’épave était vermoulu, ce qui n’arrive pas dans les mers très froides. Enfin, l’endroit où se trouvait l’épave est une zone de naufrages bien connue. C’est en effet l’entrée d’une vaste rade, sans repères visuels et parsemée de bancs de sables particulièrement dangereux.
À qui était ce bateau ?
Mais alors, qui étaient ces naufragés ? Peut-être des navigateurs hollandais. Car lors de la découverte de l’épave, les archéologues ont mis au jour un indice : les restes d’un revêtement de cuivre, qui visait à protéger la coque des vers marins. Or les bateaux britanniques n’ont commencé à recouvrir leurs coques avec ce métal qu’entre le milieu et la fin du XVIIIᵉ siècle, et les Portugais encore après. Les Hollandais, en revanche, l’ont fait dès le XVIIᵉ siècle. Ce qui coïnciderait bien avec la date estimée du naufrage.
Pour confirmer cette hypothèse, il faut fouiller en détails l’épave. Problème : en 1982, les archéologues n’avaient pas de GPS et son emplacement s’est perdu. C’est pourquoi l’équipe vient de mener de longues prospections du sous-sol, à marée basse, à l’aide d’instruments géomagnétiques. Et ça a marché : les chercheurs viennent de la détecter. Il ne reste plus qu’à fouiller…
Nicolas Constans
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La publication scientifique : J. Palmer et al., Journal of Archaeological Science, 42, 435‑441, 2014.
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Pour financer la datation, l’équipe a pu compter sur l’appui d’un glaciologue australien médiatique, Chris Turney. Alors que ce billet était en partie écrit, ce dernier s’est signalé par le fiasco d’une expédition en Antarctique, dommageable pour la recherche scientifique dans la région. C’est fâcheux, pour le moins, et on espère sans incidence sur ce programme-ci, qui a besoin d’un financement pour engager les fouilles archéologiques.
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Mise à jour : un archéologue australien réfute vigoureusement l’hypothèse avancée dans la publication suggérant que le bateau était probablement hollandais. D’abord parce qu’il n’est pas du tout établi que les constructeurs de navires néerlandais aient systématiquement couvert leur coque de métal au XVIIᵉ siècle, avant les autres pays. Ensuite parce que l’usage de bois tropicaux par les Hollandais est très peu probable selon lui. La datation lui semble en revanche plausible, même si, comme toujours dans la datation de bois, on peut imaginer qu’il s’agisse d’un bois ancien qui a été réutilisé. C’est pourquoi il faut retrouver l’épave et faire des datations sur d’autres pièces de bois.