La chevelure cuivrée de l'abbesse

Des cheveux qui défient le passage du temps ? Des scientifiques sur la piste de Marie de Bretagne.

Au départ il y a une tombe du Moyen-âge sur laquelle bute une pelleteuse, un jour de neige à Orléans, en 1999. Cette tombe, c’est celle d’un abbesse, Marie de Bretagne, morte quinquagénaire, en 1477. Une femme de tête, qui régnait sur l’abbaye de Fontevraud et engagea une vaste réforme de cet ordre monastique, malgré une vive opposition. Du temps de sa splendeur, cet ordre était l’allié indéfectible des Plantagenêts : dans l’église de l’abbaye, près de Saumur, sont enterrés notamment deux rois d’Angleterre, Richard Cœur de Lion, Henri II et la femme du second, Aliénor d’Aquitaine.

Portrait supposé de Marie de Bretagne

Portrait supposé de Marie de Bretagne

Mais à vrai dire, ce n’est pas la vie pieuse de cette abbesse qui a intrigué des chercheurs français. Non, ce sont ses mèches de cheveux. Car leur préservation est exceptionnelle, et saute immédiatement aux yeux des archéologues. Elle surprend également les spécialistes qui les examineront, plus tard, au microscope. Soumettant ces mèches à des tests sophistiqués, au synchrotron de Grenoble notamment, ils s’aperçoivent que toute l’organisation très élaborée des molécules de kératine est préservée, jusqu’au niveau des atomes. La chevelure de l’abbesse ne fait vraiment pas son âge.

Difficile de comprendre un si bon état après des siècles dans la terre orléanaise. Car habituellement, les archéologues n’observent ce genre de préservation que dans des conditions climatiques extrêmes. Par exemple les momies incas des sommets des Andes, ou celles des déserts égyptiens, ou encore les morts conservés dans la tourbe en Europe du nord. Dans un climat tempéré comme celui de la France, les champignons, bactéries et autres insectes amateurs de kératine n’en laissent en général pas grand-chose.

Alors les spécialistes sont allés faire une autre mesure. Et c’est elle qui leur a fourni la clé de l’énigme. Ils ont analysé de minuscules échantillons de ces cheveux dans un autre synchrotron, au sud de Paris. Ce qui a permis de détailler le contenu de ces cheveux, leur composition chimique. Les résultats étaient surprenants. Trois substances avaient des teneurs anormalement élevées : le plomb, le calcium et le cuivre.

Pourquoi ? Pour les deux premiers, c’était facile. Marie de Bretagne était inhumée dans un cercueil en plomb, qui, après des siècles de précipitations, avait forcément un peu fui. Quant au calcium, il venait probablement des eaux calcaires de la Beauce, que l’abbesse avait sûrement bues et qui ont pu aussi imprégner son cadavre.

Le blason de Marie de Bretagne, qui ornait son cercueil en plomb − Philippe Blanchard/Inrap

Le blason de Marie de Bretagne, qui ornait son cercueil en plomb − Philippe Blanchard/Inrap

Mais le cuivre ? Sa teneur était vraiment très élevée. Au point d’évoquer un empoisonnement, à l’instar de l’hypothèse, peu convaincante jusqu’à présent, d’un empoisonnement de Napoléon à l’arsenic. Dans le cas de l’abbesse, il n’y aurait pas lieu, a priori, d’imaginer une conspiration maléfique, mais plutôt une intoxication alimentaire, due à la vaisselle en alliage de cuivre, très prisée au Moyen-âge.

Mais ici, ça ne tient pas. Car les concentrations relevées dans la chevelure de Marie de Bretagne sont beaucoup trop hautes. Elles sont plus de vingt fois supérieures à celles de patients empoisonnés au cuivre. Le corps de l’abbesse n’aurait pu emmagasiner de telles quantités de cuivre : elle serait morte bien avant.

Seule solution, que le cuivre ait imprégné les cheveux après la mort de l’abbesse. Mais d’où pouvait-il venir ? Il n’y avait rien dans le cercueil. Oui, mais la vie de cette tombe n’a pas toujours été un long fleuve tranquille.

En 1562 éclate la première des guerres de religion entre catholiques et protestants français, suivie de deux autres en 1567-68. Fief des huguenots, Orléans est assiégée. Le prieuré où se trouvait la tombe est brûlé et pillé. Un peu moins d’un siècle plus tard, des ouvriers qui refont le plancher du prieuré retrouvent la tombe de l’abbesse. Ils l’ouvrent, et s’étonnent de n’y trouver que quelques os. Ils les rassemblent et les inhument à nouveau.

La tombe avait-elle été profanée par des huguenots vengeurs, ou pillée ? Une chose est sûre, elle a été ouverte et en partie vidée. Pris d’un doute, les archéologues demandent alors l’autorisation de réexaminer ce qui avait été trouvé en 1999. Et là, surprise : ils découvrent quelques restes à base de cuivre. Il y a une sorte de petit rivet, accroché à un fragment du vêtement de l’abbesse, ainsi que des petits morceaux près de mèches de cheveux. Les restes, peut-être, d’ornements plus importants − boucles, épingles, etc. − qui ornaient la coiffe de l’abbesse. S’oxydant, ces parures auraient progressivement suinté un petit peu de leur cuivre sur les cheveux.

Cheveux de Marie de Bretagne, entremêlés de petits morceaux d’un métal à base de cuivre, en vert sur la photo − Philippe Blanchard/Inrap

Cheveux de Marie de Bretagne, entremêlés de petits morceaux d’un métal à base de cuivre, en vert sur la photo − Philippe Blanchard/Inrap

Ce qui expliquerait du coup pourquoi les cheveux avaient été si bien conservés. Le cuivre est en effet un poison pour nombre de micro-organismes. Il freine donc la dégradation des organes et tissus où il se trouve. Une propriété qui a d’ailleurs permis de préserver la répartition de la couleur chez des oiseaux préhistoriques. Ici, son effet se serait conjugué à la protection qu’offrait le cercueil en plomb.

Quant à la chevelure de l’abbesse, impossible hélas de savoir si elle était cuivrée. Car on ne peut pas connaître sa couleur. Il y a en effet deux types de mélanines qui colorent les cheveux, l’une plutôt brun-noir et l’autre plutôt jaune-rouge. Or elles ne se dégradent pas à la même vitesse. Les archéologues ne peuvent donc pas savoir quelles étaient leurs proportions, donc à quelle teinte leur mélange aboutissait.

La publication scientifique : L. Bertrand et al., Journal of Archaeological Science, 42, 487‑499, 2014.

Merci à Philippe Blanchard, archéologue à l’Inrap.

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