Les plus anciennes traces de pas en Europe
Cinq hominidés cheminant près d’une rivière, il y a 800 000 ans…
Les plus anciennes traces de pas en Europe viennent d’être mises au jour à Happisburgh sur la côte Est de l’Angleterre. Elles datent de 800 000 ans. Ce genre de découverte est exceptionnel. Il n’existe que trois sites plus anciens avec des empreintes, tous situés en Afrique. Les traces de Laetoli en Tanzanie, découvertes en 1979, ont sans doute été réalisées par des australopithèques il y a 3,7 millions d’années. Quant aux deux autres sites, ils sont au Kenya et datent de 1,5 million d’années (le dernier a été mis au jour en 2009).
La découverte anglaise a été annoncée ce matin lors d’une conférence de presse au British Museum. Elle a été permise par l’érosion rapide des falaises de cette côte, qui révèle peu à peu des sédiments anciens. Ceux-ci, plus sombres, disparaissent presque aussitôt, emportés par la mer.
C’est en mai 2013 que les archéologues de l’équipe, prospectant sur la plage à marée basse, découvrent l’un de ces sédiments. Son aspect était relativement inhabituel. Il était en effet parsemé de petits creux. L’un des archéologues, Martin Bates, trouve que ces creux ressemblent à des traces de pas. Or il en avait étudié d’autres, datant d’une époque beaucoup plus récente (quelques milliers d’années).
Intriguée, l’équipe décide donc de pousser un peu plus loin ses recherches. Sous une pluie battante, menacée par la marée montante et la lumière déclinante, elle enregistre au plus vite les traces, en prenant des centaines de photos sous différents angles. Les clichés seront ensuite assemblées en 3D par ordinateur. Comme le relate l’un des membres de l’équipe, c’est trempés jusqu’aux os, démoralisés et pas franchement convaincus de l’utilité de ce qu’ils venaient de faire qu’ils quittent la plage.
Mais quelques semaines plus tard, en examinant attentivement les relevés 3D, ils commencent à reconnaître, là un talon ou ici des orteils. Et des voûtes plantaires, qui sont un trait caractéristique de l’espèce humaine. Dans certains cas, la pointure de ces traces permet de supposer qu’il s’agissait d’hommes, de femmes et peut-être d’enfants.
Restait à dater ces traces de pas. Pour cela, l’équipe a réalisé des carottages dans la falaise. Cela revient à faire une coupe : plus les sédiments sont profonds, plus ils sont anciens. Ces carottages permettent donc de reconstituer l’histoire géologique de la zone. Et celle de la végétation, en identifiant et en comptabilisant les pollens des différentes espèces d’arbres, de plantes, etc. pour chaque époque. Or l’évolution du climat et de la végétation en Angleterre a déjà été à peu près reconstituée. C’est pourquoi il ne reste plus qu’à faire correspondre chaque profondeur de la carotte avec une date. Celle où se situent les sédiments identiques à ceux de la plage (là où étaient les traces) remonte approximativement à 800 000 ans.
Il y a un peu plus de trois ans, la même équipe avait découvert dans la même zone des pierres taillées datant elles aussi de 800 000 ans. Cette découverte indiquait pour la première fois que ces hominidés n’avaient pas attendu des conditions climatiques plus clémentes pour coloniser l’Europe.
Quant à l’identité précise des ces ancêtres, elle est inconnue. Les traces ne sont pas assez nettes en inférer quoi que ce soit. En outre, il est rare que les pieds de ces anciens hominidés soient connus avec précision. Avant 800 000 ans, les seuls fossiles humains connus en Europe viennent seulement de deux régions : la Géorgie (les plus anciens : 1,8 million d’années) et l’Espagne (1,3 million d’années). Les classifications des paléoanthropologues diffèrent, mais les différents noms donnés aux espèces européennes à l’époque sont par exemple Homo erectus, Homo heidelbergensis, Homo antecessor.
Bref, ces traces sont rares, et l’intuition des archéologues britanniques s’est révélée très précieuse. Car peu de temps après qu’ils les ont enregistrées, les traces ont disparu, détruites par la mer.
Nicolas Constans
Comme prévu, la mise à jour :
- Ajout de la référence de l’article scientifique.
- Correction : il y a deux sites d’empreintes au Kenya et pas seulement un.
- Dans le site anglais, c’est probablement un phénomène lié à la marée qui a rapidement recouvert les empreintes de vase, ce qui a permis leur préservation.
- À peu près douze empreintes étaient suffisamment nettes pour que l’équipe puisse les mesurer. Leurs dimensions étaient différentes. Elles indiquent qu’au moins cinq personnes étaient présentes. Elles suivaient probablement les berges de la rivière, en direction du sud.
La publication scientifique : N. Ashton et al., PLoS ONE, 9, e88329, 2014.
photo : Martin Bates
Des photos sur le site du British Museum