Un guet-apens en bord de Seine, à l'âge du bronze

Une équipe d’archéologues a mis au jour les restes d’une embuscade qui s’est déroulée à l’âge du bronze. Elle utilisait une arme meurtrière et inédite pour l’époque en Occident : la fronde.

Ils les attendaient. Le petit groupe qui cheminait s’était engagé sur le gué pour traverser la rivière. Soudain, une grêle de projectiles s’est abattue sur eux. Les assaillants avaient sorti leurs frondes. Ils tireront sans relâche, plusieurs centaines de fois. Certains en sont-ils morts ? Blessés sûrement. Car à cinquante mètres de leurs victimes, juchés sur des talus, les tireurs font mouche, et les blessures sont terribles.

Bien sûr, tout cela ne figurera pas dans le rapport de fouilles que vont bientôt remettre Cyril Marcigny et ses collègues de l’Inrap sur le site d’Alizay, en Haute-Normandie. Les archéologues sont des scientifiques et se tiennent en général prudemment à l’écart des interprétations, surtout romancées, de leurs sites. Ils savent bien que les hypothèses sont éphémères. L’histoire de l’archéologie est jonchée de théories qu’un trop-plein d’enthousiasme a entraîné vers des spéculations aventureuses.

Mais reste qu’il faut quand même expliquer la présence de plus de cinq cents balles de fronde, dans le fond d’un petit chenal de la Seine aujourd’hui disparu, vers 1600 ans av. J.-C., à l’âge du bronze. Et l’hypothèse d’un guet-apens, aujourd’hui, tient plutôt bien la route.

Certes, il pourrait s’agir d’un dépôt de munitions, qui auraient roulé jusqu’au fond du chenal. Par le passé, des archéologues ont en effet déjà mis au jour des accumulations de balles de fronde. En Europe de l’Ouest, elles apparaissent à la période qui suit l’âge du bronze, l’âge du fer. Placées près de fortifications, elles semblent effectivement appartenir à des sortes d’armureries abandonnées.

Mais à Alizay, la disposition des balles de fronde semble peu compatible avec un dépôt. Car les balles n’étaient pas qu’au fond du chenal. Il y en avait aussi sur les versants des deux berges. En outre, un stock de balles de fronde, même roulant sur une pente, serait globalement resté dans le même ensemble de sédiments. Ici, les archéologues en ont trouvé un peu partout. Et le petit marigot qui coulait à l’époque dans le fond du chenal aurait été bien incapable de charrier et de disperser ces centaines de balles − de 70 grammes chacune en moyenne.

L’examen des balles, enfin, ne laisse guère de doutes. Car certaines ont des traces de chocs. D’autres se sont clairement enfoncées dans la terre. Enfin, certaines se sont même cassées sur des pierres. Tout indique qu’elles ont été lancées, avec force.

La fronde, cependant, n’est pas qu’une arme de guerre : elle sert aussi pour la chasse. Mais franchement, on se demande bien pour quelle proie d’hypothétiques chasseurs se seraient livrés à une telle débauche de munitions. Et aussi quelle étrange technique de chasse consisterait à acculer un animal au fond d’un chenal pour le bombarder de pierres. La plupart du temps, les sociétés humaines utilisent la fronde pour chasser des oiseaux et non des animaux terrestres, d’après les descriptions faites par les ethnologues.

En outre, un autre élément suggère que les victimes étaient humaines. C’est la présence du gué. Les archéologues ont en effet mis au jour plusieurs dizaines de blocs de calcaire dans l’ancien lit du marigot. Ce dernier serpente dans les alluvions de la Seine, et n’a rien d’un torrent de montagne : ces pierres n’ont rien à y faire. C’est donc vraisemblablement un gué artificiel, qui permettait de franchir à pied sec le chenal. Ce n’est pas le seul : à cent mètres en aval, une éminence de terre facilitait elle aussi le passage.

Or, d’après la répartition des balles, ces deux points étaient la cible des tireurs. Peut-être qu’un groupe d’êtres humains était en train de franchir le chenal à ces deux endroits quand ils ont été attaqués. « Il y a toujours la possibilité que ces deux accumulations de balles ne se soient pas produites au même moment », précise Cyril Marcigny. Deux attaques, à des mois ou des années de distance, qui feraient alors de ce chenal un vrai coupe-gorge…

Quoi qu’il en soit, cette embuscade n’a pas vraiment de précédent. C’est surtout la fin de l’âge du bronze, à partir de 1200 ans av. J.-C. environ, qui est connue pour ses conflits, comme le montrait la découverte, il y a trois ans, d’un champ de bataille le long d’une rivière (photos) en Allemagne.

Toutefois l’époque à laquelle appartiennent les frondes d’Alizay − que les archéologues appellent la fin du bronze ancien − pourrait, elle aussi, être une période de troubles. Car la société connaît alors une profonde mutation. Auparavant, seules les classes sociales les plus élevées semblent faire l’objet d’inhumations − sous des tumulus, notamment. Mais lors de cette phase, la société semble devenir beaucoup plus égalitaire : les défunts sont enterrés ensemble et sans vraiment de signes distinctifs. Ces changements se sont peut-être accompagnés de conflits. Un charnier qui date de cette époque, à Wassenaar, près de La Haye, aux Pays-Bas, par exemple, semble être le résultat de morts violentes.

Nicolas Constans

Merci à Cyril Marcigny et Erik Gallouin.

Ces résultats, inédits, sont préliminaires : ils feront l’objet par la suite d’une publication scientifique.

NB : le forum international des passionnés de fronde a posé une traduction anglaise de l’article : One of our members is posting up a translation of your article :

Tests expérimentaux de la portée des répliques des balles de fronde d’Alizay - L. Chantreuil

S’abonner à @nconstans