Beaucoup de doutes sur la « découverte » du bateau de Colomb

Rien ne prouve que l’épave récemment trouvée en Haïti soit celle de la Santa Maria, navire perdu par Christophe Colomb lors de son premier voyage en Amérique.

L’histoire de la Santa Maria

En 1492, Christophe Colomb était parti avec trois navires découvrir la route vers les Indes orientales. Deux étaient des caravelles et la troisième une caraque, à voile carrée contrairement aux premières et appelée Santa Maria (ou plutôt La Gallega, la Galicienne, selon certaines sources). La nuit de Noël, cette dernière s’échoue sur un haut-fond, sans doute un banc de sable.

Alors qu’une partie de l’équipage se sauve sans demander son reste, Colomb fait scier le mât et alléger le bateau pour voir s’il peut se dégager. Mais il lui semble que la marée locale, qu’il ne connaît pas, descend. Il décide d’abandonner le navire et de gagner la côte. Le lendemain, ses hommes, aidés par la population indigène, viennent récupérer la totalité du navire, laissant la coque.

Pour Colomb, cet échouage est un signe du ciel : il décide qu’il faut construire sur la côte un fortin avec le bois récupéré. Une quarantaine d’hommes y resteront tandis qu’il rentrera en Espagne. Huit jours plus tard, juste avant de repartir, Colomb invite un chef indigène à manger. Pour l’impressionner, il fait donner le canon sur la coque de la Santa Maria.

Tout cela est connu par un résumé de son journal de bord, aujourd’hui disparu, qu’a donné le célèbre prêtre dominicain Bartolomé de las Casas, qui l’a côtoyé. Il faut bien avoir en tête que le journal de Colomb est destiné à la commanditaire de son expédition, Isabelle la Catholique, reine de Castille. Il s’arrange donc peut-être avec la vérité, notamment quand il prétend que c’est à cause d’un mousse que le bateau s’est échoué. La « fuite » d’un équipage a priori expérimenté n’était peut-être finalement qu’une réaction somme toute logique : les marins souhaitaient peut-être demander l’assistance de l’autre caravelle pour dégager le bateau. Certains historiens estiment même que Colomb aurait détruit intentionnellement la coque de la Santa Maria pour forcer une partie des hommes à rester sur-place. Installer un établissement sur l’île était en effet essentiel pour pouvoir en revendiquer la possession par la suite.

L’épave découverte en Haïti

Rappelons les faits : l’explorateur américain Barry Clifford a découvert une épave en 2003 tout près de la côte haïtienne, dont il prétend qu’elle est celle de Colomb. Le bois a disparu : il n’en reste essentiellement que les lourdes pierres qui lui servait de ballasts. Elle est dans une zone où pourrait effectivement avoir coulé la Santa Maria. En fait, Clifford s’est appuyé sur des fouilles conduites notamment par l’archéologue américaine Kathleen Deagan, sur la terre non loin de là. Celle-ci pourrait avoir identifié le site où se trouvait le fort décidé par Colomb. Mais ce n’est pas sûr. Car il ne reste rien des fondations du fort, qui avait brûlé quand Colomb revint sur les lieux en 1493.

Un documentaire intitulé À la recherche de la Santa Maria évoquait ces recherches dès 2004. Aujourd’hui, Clifford affirme que mis sous pression par la présence de l’équipe de télévision, il n’aurait pas poussé ses investigations plus loin. Cependant en 2007, vous pouviez tout de même séjourner et plonger avec l’explorateur sur le site pour la modique somme de 20 000 $.

La suite a été racontée dans l’article de The Independent, sur lequel sont basés la plupart des articles, et lors d’une conférence de presse. Clifford explique que plus tard, en réexaminant les photos de 2003, il a remarqué la forme d’un canon qu’il n’avait pas identifié à l’époque.

Mais en replongeant sur place il y a quelques semaines, il n’a rien trouvé. Ce que confirme au téléphone Jean-Claude Dicquemare, un plongeur de son équipe : le canon ainsi qu’une curieuse pierre percée d’un trou ont disparu. Cette absence des preuves n’empêche pas Clifford de conclure qu’il y a de bonnes chances que ce soit la Santa Maria. Mais pas tout à fait quand même, il faudrait des fouilles. Et l’explorateur d’insister sur les avantages que cela pourrait représenter pour la valorisation du patrimoine d’Haïti.

« Pour moi, c’est un effet d’annonce, très courant chez ce genre d’explorateurs, indique François Gendron, du muséum national d’histoire naturelle à Paris, qui a fouillé une épave en République dominicaine, mitoyenne d’Haïti. En général, ils recherchent des fonds pour de nouvelles opérations et ont besoin pour cela d’un maximum d’exposition médiatique. »

Des preuves ténues

En fait, rien ne dit qu’il s’agisse de l’épave de la Santa Maria. Les mesures prises par l’équipe de l’explorateur sont d’après eux compatibles avec les dimensions d’une caraque. Ils estiment aussi que celles du canon cadrent bien avec le type de canon lombard cité par Colomb dans son journal. Mais c’est tout.

Or il y a beaucoup d’épaves dans la zone. « Sans doute plusieurs centaines sur la côte nord d’Haïti » estime Jean-Claude Dicquemare. C’est ce que confirme la ministre de la culture d’Haïti. Interrogée par Radio-Canada, elle reste d’ailleurs plutôt sceptique.

En fait, cette épave n’a peut-être rien à voir avec Colomb. « La grande majorité des épaves dans la région sont françaises », explique François Gendron. Au XVIIe et XVIIIᵉ siècle, la future Haïti s’appelle Saint-Domingue et c’est une colonie française très riche, grâce à la traite négrière et à la canne à sucre. La zone où Barry Clifford a trouvé son épave se trouve au cœur d’une route commerciale très fréquentée, près du Cap-Haïtien, la capitale de la colonie. Et la navigation y est très dangereuse. « Il y a une barrière de corail presque tout le long de la côte » indique François Gendron.

Ce ne serait pas d’ailleurs la première fois qu’un explorateur prendrait un bateau français pour un galion espagnol dans la région. La même mésaventure était arrivée en 1968 à Jacques-Yves Cousteau qui recherchait la Nuestra Señora de la Concepción, un navire espagnol du XVIIᵉ siècle rempli d’une très riche cargaison. L’épave qu’il avait explorée au nord de la République dominicaine était en fait un navire français du XVIIIᵉ siècle.

Barry Clifford affirme que ce sont probablement des pilleurs qui ont emporté le canon qui se trouvait là en 2003. Sur ce point, il a probablement raison. « Dans cette zone, on peut presque dire que les pilleurs se servent où ils le souhaitent, indique François Gendron. Sur une épave du XIXᵉ siècle que nous fouillions en République dominicaine, ils nous ont volé des canons et d’autres objets. Et ils n’ont pas hésité à dynamiter la barrière de corail pour récupérer le revêtement en cuivre du bateau. »

Épilogue

Cinq mois après l’écriture de ce billet, un rapport de l’Unesco conclut qu’il ne s’agit effectivement pas de la Santa Maria, mais d’un navire plus tardif.

Nicolas Constans

  • D’autres scientifiques restent très prudents
  • Un portrait de l’explorateur américain datant de 1995. Il met notamment en lumière une des principales difficultés que rencontrent ces explorateurs, celle de convaincre des financiers d’investir dans une activité par nature aléatoire. D’où la nécessité d’un emballement médiatique.
  • Voilà les informations que j’ai pu réunir jusqu’ici. Je les mettrais à jour si besoin. N’hésitez pas à partager ce que vous savez sur le sujet (en mentionnant vos sources) dans les commentaires. Merci d’avance !
  • Mise à jour : Voilà ce que m’écrit Kathleen Deagan, sur la découverte du fort construit par Colomb, La Navidad : « nous pensons avoir localisé la ville Taino de Guacanacaric, où a été construit la Navidad. Nous y avons en effet trouvé des éléments datant de la fin du XVᵉ siècle. Mais je ne peux absolument garantir que le bâtiment brûlé que nous avons fouillé était le fort de La Navidad »
  • 2e mise à jour : le communiqué du gouvernement haïtien qui annonce que l’exploration du site pourrait commencer en juillet.
  • Hasard du calendrier, la nouvelle de la « découverte » de la Santa Maria m’est parvenue alors que je finissais un billet qui concernait aussi Christophe Colomb. Il s’agissait d’un épisode qui se plaçait un an après la perte de la Santa Maria. Il était difficile de les publier en même temps. Mais si le sujet vous intéresse, je peux le faire paraître ce week-end.
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