Une épave phénicienne découverte à Malte

Des archéologues viennent de découvrir une épave très rare à Malte, qui éclaire le commerce des Phéniciens. Ces navigateurs hors pair furent les principaux artisans de l’essor des échanges en Méditerranée durant l’Antiquité. Entretien avec l’archéologue Jean-Christophe Sourisseau.

Qu’est-ce qui fait la singularité de cette épave ?

C’est la plus ancienne épave d’un navire de commerce à l’ouest de la Méditerranée. Datée de 700 à 675 ans av. J.-C., elle appartient à une période essentielle dans l’histoire de cette région. Car à l’époque, les échanges commerciaux s’intensifient et s’étendent à travers une grande partie de la Méditerranée. Cet essor est en grande partie dû aux marchands phéniciens, qui ont investi l’ouest de la Méditerranée depuis peu.

Membre de l’équipe, l’archéologue Jean-Christophe Sourisseau est directeur-adjoint du Centre Camille Jullian à Aix-en-Provence.

Membre de l’équipe, l’archéologue Jean-Christophe Sourisseau est directeur-adjoint du Centre Camille Jullian à Aix-en-Provence.

Or jusqu’ici, nous n’avions qu’un des versants de ces échanges : ce qui venait du Proche-Orient. En effet, les seules cargaisons commerciales connues pour cette époque étaient situées au large d’Israël ou de la Turquie [voir carte ci-dessous]. Côté occidental, il n’y avait rien. Ou alors des épaves plus récentes, trop fragmentaires, ou qui ne sont de simples barques, etc.

En outre, l’épave, d’une douzaine de mètres de long, est dans un état exceptionnel. En effet, elle a coulé sur un fond plat, un plateau calcaire qui ne comporte pas de relief ni de pente importante. Et elle se trouve à environ 120 mètres de fond. Or à cette profondeur, il y a moins d’organismes marins susceptibles de la dégrader. Et elle est restée protégée d’éventuels pilleurs. Car avec des plongeurs, il est pratiquement impossible de faire des fouilles sous-marines au-delà de 70-80 mètres.

Comment avez-vous découvert l’épave ?

Il y a quelques années, l’équipe d’un archéologue maltais, Timothy Gambin, a réalisé une prospection des fonds sous-marins autour de Malte. Avec un sonar, ils détectaient des formes intéressantes. Puis ils descendaient un robot chargé de prendre des photographies pour savoir de quoi il s’agissait. De cette manière, ils ont répertorié un certain nombre d’épaves. Plus tard, Timothy m’a montré les photos de l’une d’elle, me demandant de les expertiser. La qualité des clichés était suffisante pour que j’identifie une épave phénicienne d’environ 700 ans av. J.-C., d’après les types d’amphores de sa cargaison. Mais nous en étions restés là. Puis j’ai rencontré un spécialiste des relevés en trois dimensions des sites archéologiques sous-marins, Pierre Drap. Il cherchait une épave en eau profonde pour mettre en application de nouvelles techniques qu’il avait mises au point, et je lui ai suggéré celle de Malte. C’est comme cela qu’a débuté le projet.

Qu’avez-vous découvert ?

Cet été, nous avons loué les services de la COMEX, la société d’exploration sous-marine avec laquelle Pierre collabore. Avec leurs bateaux et leurs petits sous-marins robotisés, nous avons réalisé le relevé 3D de l’épave. Et remonté trois amphores différentes, ainsi qu’une meule en basalte. Nous allons les confier prochainement à un laboratoire pour qu’il en identifie l’origine grâce à des analyses. La cargaison semble principalement constituée d’amphores et de meules à moudre le grain. Mais nous n’en voyons que le haut. Car le reste est vraisemblablement enfoui sous la vase.

Qui sont les Phéniciens ?

Nous ne les connaissons essentiellement que par le portrait qu’en dressent leurs voisins grecs. Pour ces derniers, les Phéniciens étaient des peuples qui vivaient au Proche-Orient, dans une zone centrée sur le Liban actuel. Mais par extension, ce nom a fini par désigner pour les historiens tout un ensemble de peuples liés à cette région et qui parlaient à peu près la même langue. Cette diaspora s’installe, entre le IXe et VIIᵉ siècle av. J.-C., le long de la côte sud de la Méditerranée. Elle fonde des établissements en Tunisie (Carthage, notamment), en Espagne (Cadix), en Sardaigne, dans l’ouest de la Sicile, au Maroc et à Malte.

Les raisons de cette colonisation sont inconnues, car pratiquement aucun de leurs textes ne nous sont parvenus. Le plus souvent, les historiens supposent que les Phéniciens étaient à la recherche de matières premières, le cuivre en Sardaigne par exemple, ou les mines d’argent en Andalousie. La découverte de Malte nous montre que c’est plus compliqué que cela.

Pourquoi ?

Parce que visiblement, un siècle environ après leur fondation, les colonies phéniciennes ne servaient pas qu’à rapatrier les matières premières vers le Proche-Orient. Elles exportaient déjà du vin et sans doute d’autres produits. C’est ce que suggère notre analyse des amphores présentes dans la cargaison. En outre, l’épave de Malte embarquait des marchandises de provenances différentes : Carthage, le golfe de Naples, peut-être l’ouest de la Sicile et la région romaine. Le bateau ne convoyait donc pas que la production d’une seule région. Sa cargaison a été assemblée à partir de différents arrivages, dans un port de commerce, avec des entrepôts. L’ouest de la Méditerranée avait donc vraisemblablement toute une organisation commerciale, que nous entrevoyons à peine.

Propos recueillis par Nicolas Constans

Poisson dans une des amphores − Projet Groplan

Poisson dans une des amphores − Projet Groplan

  • Les principaux responsables du projet sont Pierre Drap (CNRS), Timothy Gambin (université de Malte), Bertrand Chemisky (COMEX) et Jean-Christophe Sourisseau (université d’Aix-Marseille). Mais il y a d’autres collaborateurs et partenaires. Voir le site du projet GROPLAN pour plus d’informations.
  • Les épaves en eau profonde, nouveau front pour les archéologues Aujourd’hui, les moyens de prospecter les grandes profondeurs sont devenus à la fois plus perfectionnés et moins coûteux. Toute une classe nouvelle d’épaves, souvent en bon état, deviennent accessibles aux archéologues. Mais il faut développer des moyens de les fouiller sans plongeurs. « L’épave de Malte est l’occasion d’expérimenter ces nouvelles techniques » explique Jean-Christophe Sourisseau. Par exemple, Pierre Drap développe des systèmes pour reconnaître automatiquement ces épaves, en identifiant les types d’amphores des cargaisons à partir de leur forme.
  • Le relevé 3D utilise un capteur spécial, développé par la COMEX et le laboratoire de Pierre Drap, le LSIS. Il est monté à bord du sous-marin. Une seule plongée, courte, suffit. La résolution est de l’ordre de quelques millimètres. Le principe de la technique est appelé photogrammétrie.
  • Merci aux membres du projet et à Christophe Morhange.
  • Un site grand public du ministère de la Culture sur l’archéologie sous-marine.
Restitution 3D de l’épave − résultats préliminaires. On distingue les meules et les amphores. Projet Groplan

Restitution 3D de l’épave − résultats préliminaires. On distingue les meules et les amphores. Projet Groplan