Tombe géante de Grèce : le point sur les fouilles

La tombe monumentale d’Amphipolis, qui abrite sans doute un proche d’Alexandre le Grand, est en train d’être fouillée depuis l’été. Les archéologues viennent de franchir un second mur, gardé par deux statues. Que peut-il y avoir derrière ? Un dossier complet.

C’est un monument unique en son genre. La plus grande tombe jamais fouillée en Grèce. Depuis la visite du premier ministre grec cet été, les projecteurs de l’actualité sont braqués sur cette tombe exceptionnelle. Car en ce moment-même, les archéologues progressent peu à peu vers l’intérieur du monument.

La découverte est rare, et cette page va tenter de faire le point sur ce qui est à peu près connu aujourd’hui. Difficile, cependant, d’en être sûr. Car le ministère grec de la culture distille les informations au compte-goutte. D’où de fréquentes rumeurs.

Dernières nouvelles

Cette page connaîtra des mises à jour en fonction de l’avancée des découvertes, que vous pouvez suivre sur mon compte Twitter.

Les dernières nouvelles d’Amphipolis, sur mon compte Twitter

  • Mise à jour 23 septembre 2014 : nouveau passage dans la 3e salle, nouvelles photos des cariatides.
  • Mise à jour 15 septembre 2014 : Description des premières photos de la 3e salle. La vidéo du survol est maintenant en haute définition.
  • Mise à jour 11 septembre 2014nouvelles photos des cariatides. Le site a parfois des problèmes de connexion, voir ici sinon.

N’hésitez à signaler des éléments complémentaires dans les commentaires.

La tombe

Qu’est-ce qui rend cette tombe unique ?

Jugez du peu : une colline artificielle enserrée dans un mur circulaire de près de cinq cents mètres de circonférence. En comparaison, le mausolée de l’empereur romain Auguste ne fait « que » 270 mètres de circonférence. Le cercle, de pierres calcaires recouvertes de marbre, empêche que cette énorme masse de terre ne s’affaisse.

En outre, cette colline était visiblement surmontée d’une très grande statue de lion. Avec son piédestal, la tête du fauve culminait probablement à plus d’une trentaine de mètres de haut, soit la hauteur d’un grand immeuble. Bref, un monument qui se voyait de loin et se dressait triomphalement dans le paysage des alentours.

Comment les archéologues l’ont-ils découverte ?

Les archéologues connaissaient cette colline artificielle d’une vingtaine de mètres de haut, depuis les années 1960. Ils se doutaient qu’elle abritait une tombe, une pratique courante dans la région pendant l’Antiquité. « Nous connaissons au moins plusieurs dizaines de tombes de ce type, des tumulus » indique l’historien grec Miltiade Hatzopoulos, spécialiste de la région. En 1999, une équipe en avait sondé le sous-sol (résumé de l’étude, en anglais) et détecté la présence probable d’éléments sous la colline. Puis en 2012, le service local d’archéologie commence à mettre à jour l’ensemble de l’enceinte du monument (dont des archéologues avaient déjà découvert une quarantaine de mètres en 1965, voir p.879).

En dégageant l’enceinte, ils s’aperçoivent qu’il lui manque la partie haute. Or lorsqu’un monument est abandonné, les populations des époques suivantes utilisent souvent les pierres pour construire ou réparer de nouveaux édifices. C’est pourquoi l’équipe recherche alors ces blocs dans les ruines d’Amphipolis. Ils vont notamment voir ceux qu’avaient laissés les restaurateurs français d’un monument bien connu d’Amphipolis, la statue d’un lion. Des soldats en avaient découvert les premiers fragments pendant la première guerre mondiale. Une compagnie américaine avait également extrait du fleuve tout proche un grand nombre de blocs de pierre divers. Puis dans les années 1930, les restaurateurs français reconstituent la statue et lui construisent un nouveau piédestal, moins grand que l’original.

Lion d’Amphipolis − Kkonstan.

Lion d’Amphipolis − Kkonstan.

C’est dans le reliquat de ce travail (qui semble être encore visible ici, tout près du lion) ainsi que dans le piédestal restauré que l’architecte de l’équipe grecque identifie des pierres, qui proviennent visiblement de l’enceinte du tumulus. En d’autres termes, le démantèlement du lion et celui de l’enceinte semblent s’être déroulés en même temps. Il y a donc de bonnes chances pour qu’ils proviennent du même endroit. Les archéologues semblent s’être rendus alors sur le haut du tumulus pour le fouiller. Ils y auraient découvert les fondations de la statue du lion. Ou ils auraient repris une structure fouillée par le passé et y auraient identifié les fondations de la statue : nous manquons d’informations fiables sur ce point. En tout cas, les pierres de l’enceinte et celles du probable piédestal originel semblent présenter beaucoup d’analogies (voir ce site en anglais).

Ce n’est que cet été que les fouilles ont commencé à pénétrer à l’intérieur de la colline, vers le cœur de la tombe.

La tombe

Un escalier de marbre descend d’abord vers l’entrée. Il est bordé de murs, décorés avec un soin inhabituel. Le ou les concepteurs y ont fait peindre des pierres taillées en trompe-l’œil. Quant à l’entrée, elle est couronnée de deux grands sphinx se faisant face, hauts comme un homme. Elle était peinte.

L’entrée ouvre sur une sorte de couloir de six mètres de long, avec des murs en marbre.Le sol est constitué de morceaux de marbres pris dans une sorte de mortier (des tesselles). Puis un autre mur protège un nouveau seuil, flanqué de deux cariatides (on peut voir leur tête, car le mur protecteur n’allait pas jusqu’en haut − il a été enlevé depuis). Ce sont des sculptures de femmes, qui tiennent lieu de colonnes dans l’architecture grecque et romaine. Généralement, l’un de leurs bras semble soutenir le haut de l’édifice, mais ici, il est coupé à l’épaule. Depuis, les archéologues les ont entièrement dégagées. Elles sont très hautes, plus de deux mètres de haut, et finement sculptées, avec des traces de peinture.

« Beaucoup d’éléments dans cette tombe ne ressemblent à rien de connu, explique Miltiade Hatzopoulos. L’utilisation de marbre dans l’entrée, alors que les constructeurs se contentent généralement de tuf, une roche poreuse. De même pour le trompe-l’œil, l’entrée couronnée de sphinx et enfin les cariatides : normalement, il n’y a pas de statues dans les tombes ! »

Désormais, les archéologues ont franchi le passage aux cariatides. Il y a visiblement un nouveau couloir, avec un nouveau mur au fond, ouvert en haut à gauche. Le 12 septembre, ils ont mis en ligne des photos de l’encadrement de la porte de ce mur. Ils y ont aujourd’hui pénétré :

La troisième salle

  • Initialement, elle était fermée d’une porte en marbre, dont les archéologues ont retrouvé les débris.
  • Elle menace de s’effondrer : d’importantes fissures parcourent sa voûte. Des gravats jonchent les remblais. Cette salle semble soumise à des tensions intenses. Celles-ci sont sans doutes dues à un déséquilibre très important dans la masse qu’ont à supporter les différents points de la voûte : la partie sud a deux mètres de terre au-dessus d’elle, alors que celle du nord en a treize ! (voir une photo du dessus de la tombe). Depuis, la ministre de la culture grecque indique que la tombe n’est pas en si mauvais état. C’est surtout parce que les archéologues la vident de sa terre qu’elle est fragilisée (rien ne s’oppose à la pression du tumulus au-dessus). C’est pourquoi l’équipe a entrepris de la consolider.
  • les remblais contiennent beaucoup moins de sable que dans les autres salles, visiblement. Il y a en revanche de la terre, qui ressemble à de la terre de tumulus. Le communiqué n’en dit pas plus. D’où vient-elle ? Est-ce qu’elle a pu pénétrer par les fissures de la voûte et des murs ? Les déclarations de la ministre à la presse grecque indiquent désormais que ces remblais sont constitués de limon (le fleuve Strymon est tout proche).
  • L’air confiné dans cette pièce a semblé au départ difficilement respirable, mais de nouvelles analyses indiquent aujourd’hui qu’il est suffisamment sain.
  • les murs de la salle sont recouverts de marbre. La voûte et le reste de la chambre sont peintes en rouge.
  • En sondant les remblais, l’un des membres de l’équipe a mis au jour le haut d’un nouveau passage. Il est large d’un peu moins d’un mètre (et serait situé dans le mur de gauche en entrant, ce qui reste à confirmer). Il est situé très bas, ce qui suggère que le sol de cette salle serait en-dessous des précédentes. Et qu’un escalier pourrait se trouver sous les remblais. Où mène-t-il ? À une sorte de crypte ? En tout cas, il y a largement la place pour des aménagements plus importants. Car la troisième salle est encore très loin du centre du tumulus.

A priori, il ne faut pas s’attendre à un grand sarcophage. (Les restes probables du père d’Alexandre le Grand étaient contenus dans un coffre en or large d’une trentaine de centimètres, lui-même contenu dans un sarcophage en pierre un peu plus grand.)

Voici un dessin de la tombe, qui indique la position des différentes photos publiés par le ministère de la culture grec. Il a été actualisé. La dernière version.

La tombe a-t-elle été pillée ?

Les archéologues l’ont démenti. La région était réputée pour être l’objet de pillages réguliers (voir notamment cet article en anglais). Si pillage il y a eu, c’est vraisemblablement par l’entrée. Car l’équipe n’a mentionné la découverte d’aucune galerie. Reste à expliquer pourquoi la tombe n’est pas intacte. Car :

  1. Les sphinx n’ont plus leur tête ni leur aile. Les cariatides n’ont pas leurs bras et l’une d’elles n’a plus de visage. Un pillage ? « C’est difficile à comprendre. Dans l’Antiquité, contrairement à aujourd’hui, on ne volait pas des bouts de statues, il n’y avait pas de collectionneur pour les acheter » explique Miltiade Hatzopoulos. Les archéologues ont retrouvé des fragments d’aile d’un des sphinx, ainsi que des morceaux de doigts des cariatides. Pour ces dernières, les dommages peuvent éventuellement s’expliquer par la chute de pierres. L’un des communiqués du ministère indique que c’est la pression exercée par ce qui est au-dessus des statues (l’épistyle) qui a sans doute fait fracturer la statue. Ils ont retrouvé des éléments du visage de la statue mutilée dans les remblais. Mais pour les sphinx, il est peu probable que ce ne soit pas intentionnel. D’après les photos, il y a également des passages pratiqués dans le mur de la 1ère à la 2e salle (non confirmé sur le dessin), et dans celui de la 2e à la 3e salle (confirmé sur le dessin). Le dernier dessin montre un autre trou en haut du mur du fond de la 3e salle. Les déclarations du ministère à la presse grecque indiquent qu’il s’agirait de pierres tombées naturellement.
  2. Ensuite, quelqu’un a rempli le couloir et l’entrée de sable et les a muré. Pourquoi ? Mystère. Quand ? Des monnaies, des céramiques dans le sable permettront peut-être de le dire.
  3. Le démantèlement de la partie haute du mur d’enceinte date sans doute du même moment que celui du lion, puisque leurs pierres semblent avoir été réutilisées ensemble. Les archéologues auraient daté cette destruction de l’époque romaine (après 168 av. J.-C.) d’après cette archéologue, qui se dit proche de certains membres de l’équipe.

De quand date le mausolée ?

Les archéologues ont annoncé que le monument datait du dernier quart du IVᵉ siècle, soit entre 325 et 300 ans av. J.-C. « Nous supposons qu’ils ont pour cela des éléments qu’ils n’ont pas encore dévoilés » indique Miltiade Hatzopoulos. En 2013, la même archéologue affirmait que des pièces de monnaies permettaient de dater la tombe vers 310 ans av. J.-C. Mais cela n’a jamais été confirmé officiellement.

Car sur la base des photos, de l’architecture, rien ne permet d’avancer une date. Dans l’absolu, le monument pourrait être plus récent. Mais sans doute pas beaucoup plus ancien. Car le monument semble d’un type bien connu dans la Macédoine à l’époque : les tombes à voûte. Or les Macédoniens semblent avoir commencé à adopter ce type de tombe un peu après 350 ans av. J.-C. Contrairement aux plafonds plats, les voûtes supportent en effet plus facilement le poids d’importantes quantités de terre au-dessus d’elles. L’archéologue responsable des fouilles a maintenu sa date dans une interview avec la presse grecque le 18 septembre (?).

Nicolas Constans

  • Merci beaucoup à Miltiade Hatzopoulos, ainsi qu’au directeur de l’École française d’Athènes, Alexandre Farnoux.
  • Emmanuel Laurentin a interrogé l’historien Roland Étienne sur cette découverte le 19 septembre sur France Culture (à 8:00) : Enregistrement