Les Gaulois, amateurs de boomerang
Des archéologues français ont découvert le premier boomerang gaulois. Il se trouvait dans l’un des principaux ports d’embarquements pour l’Angleterre à l’époque, jusqu’ici inconnu.
On ne sait si les vacanciers qui arpentent aujourd’hui les plages du Cotentin, chères à Boris Vian, sont adeptes du freesbee et d’autres objets volants. Mais il y a plus de deux mille ans, on pouvait probablement y apercevoir d’adroits Gaulois chassant les mouettes au boomerang. C’est ce que vient de montrer une découverte réalisée précisément sous l’une de ces plages, celle d’Urville-Nacqueville près de la Hague. Constamment trempé d’eau salée, le site a l’immense avantage de conserver la matière organique, et en particulier le bois, matériau de choix des Gaulois. Et c’est ainsi, dans un ancien fossé, qu’une équipe d’archéologues français a découvert le seul boomerang gaulois connu à ce jour. Il date de 120 à 80 ans av. J.-C., soit une trentaine d’années avant la conquête de la Gaule.
Face à ce morceau de bois plat et légèrement cintré, impossible de ne pas penser à un boomerang. Un objet volant, en tout cas. Et c’est ce que vont confirmer les analyses par la suite. Appelé en renfort, un spécialiste des boomerangs, Luc Bordes, du CNRS, l’examine attentivement.
Il constate que le fabricant du boomerang savait manifestement ce qu’il faisait. Il a choisi un bois léger, probablement du pommier ou du poirier. C’est toujours celui souvent employé par les fabricants des boomerangs actuels en Europe. Leur prédécesseur gaulois a sélectionné une branche courbe et y a taillé l’objet. Il en a sans doute soigneusement choisi les dimensions, d’un cinquantaine de centimètres de large et un peu moins d’un centimètre d’épaisseur. Elles offrent en effet une très grande stabilité en vol. Il en a méticuleusement poli les pales. Et profilé les bords : comme pour un avion, il s’agit d’un ingrédient important pour que le boomerang s’élève. Et le bout des pales est relevé, un paramètre essentiel pour atteindre des altitudes importantes.
La question que se posent alors les archéologues est : est-ce vraiment un boomerang ? Est-il susceptible de revenir dans la main de celui qui l’a lancé ? L’équipe décide d’en réaliser une réplique avec les outils d’époque, pour faire des tests.
Réponse : ce n’est pas à proprement parler à un boomerang. Car il n’est pas destiné à revenir dans la main du lanceur. Exit, donc, les jeux d’adresse auxquels se livraient certains aborigènes australiens du XIXᵉ siècle. La majorité des bâtons de ce type, retrouvés par les archéologues ou décrits par les ethnologues, vont à peu près droit au but, sans demi-tour. Ce sont des armes de chasse.
Mais alors, que chassaient les Gaulois ? Lapin, lièvre, petit gibier ? Peu probable, car les bâtons nécessaires sont en général plus épais, plus grands et plus lourds. Il est plus vraisemblable que le bâton d’Urville, comme c’est le plus fréquent, serve à chasser les oiseaux. Soit pour les rabattre vers un filet. Soit en les atteignant directement. En général, les chasseurs visent un groupe d’oiseaux, prenant son envol ou déjà dans les airs. Ceux-ci sont fréquents dans les marais qui bordent alors le site d’Urville-Nacqueville. Et de nombreux ossements retrouvés lors des fouilles attestent que ces Gaulois ne dédaignaient pas les oiseaux : Fous de Bassan, goéland marin, bernache (genre d’oie), fuligule (canard plongeur), Guillemot de Troï… Bref, les archéologues ont sans doute retrouvé un exemplaire de la mystérieuse arme de jet en bois que les Gaulois utilisaient pour chasser les oiseaux, et que mentionnera le géographe grec Strabon quelques décennies plus tard.
(plus d’informations sur le boomerang gaulois dans les notes)
Un port vers l’Angleterre
Petit plaisir de fouilles, le boomerang n’est pas cependant ce qui intéresse le plus l’équipe. L’important, c’est que ce site était une sorte d’ancêtre du tunnel sous la Manche. Car jusqu’ici, « nous ne savions pas vraiment quelles relations entretenaient les Gaulois du continent avec leurs voisins de la future Grande-Bretagne », explique le responsable des fouilles, Anthony Lefort, de l’université de Bourgogne et du CNRS. Faute de sites archéologiques, en particulier. Dans la région de Calais, personne ne sait, par exemple, où est Portus Itius, le port d’où s’embarqua César pour ses expéditions peu probantes vers la Grande-Bretagne. Sur la Manche, il y a bien un probable port identifié près de Saint-Malo, avec des indices de commerce transmanche. Mais les archéologues n’avaient pu fouiller qu’une toute petite partie du site pour cette période. Sinon, rien.
Ici, à Urville, les archéologues pensent avoir trouvé, enfin, un port important. D’abord, il y a tous ces bracelets en schiste noir. Matériau brut, ébauche, produit fini : toutes les étapes de la fabrication sont représentées sur le site. Les vestiges d’un atelier de confection, donc. Or ce schiste vient vraisemblablement de la région d’en face, le Dorset, en Angleterre à une centaine de kilomètres seulement. Et c’est précisément là que des archéologues britanniques ont découvert dans les années 1970 un grand port de la même époque, à Hengistbury Head.
En outre, il y a des indices très nets qu’Urville-Nacqueville accueillait des immigrés d’Angleterre. D’abord que certains adultes y sont inhumés en position fœtale comme dans le Dorset, alors qu’ils étaient généralement incinérés dans cette partie de la Gaule. Ensuite, parce que certaines des maisons y sont rondes, comme dans le Dorset, alors qu’elles sont rectangulaires chez les Gaulois de Normandie.
Enfin, ce n’est pas un site ordinaire. Parce que visiblement, pas mal d’argent y transite. Les archéologues ont en effet trouvé huit pièces en or, des statères. Anecdotique ? Non, car il ne s’agit pas, comme souvent, d’un trésor caché en attendant des jours meilleurs. Ici ce sont les pièces tombées des poches ou des bourses des passants gaulois, en seulement quelques décennies. Or en général, les Gaulois les plus riches sont des chefs, des aristocrates. Ils vivent dans des oppida, site de hauteur fortifiés. À Urville, il n’y a rien de tout cela. Il n’y a pas d’enceinte, et les défunts du cimetière semblent être de simples quidams.
En outre, les archéologues y ont trouvé un ensemble d’objets et de matières plutôt exotiques dans la région : ambre de la Baltique, perles de corail, lampes à huile méditerranéennes, dés à jouer. Ainsi que du vin. Or à l’époque, en Normandie, on paraît se ficher du vin comme de son dernier calva. Les tessons sont rarissimes. Ici, il y en a, et les Gaulois d’Urville semblent l’avoir utilisé comme offrande sur leurs bûchers funéraires.
Riches, joueurs, buveurs de vins italiens : le commerce transmanche à l’époque semble juteux pour les habitants d’Urville. Grâce aux taxes sans doute, sur les marchandises, comme le suggère un passage de la Guerre des Gaules.
Nicolas Constans
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Merci à Cyril Marcigny de l’Inrap.
Le boomerang d’Urville fait à peu près 150 grammes. Sa portée est d’environ cinquante mètres.
Les fouilles se font seulement pendant les grandes marées. Car ce sont les seules périodes qui laissent aux archéologues à peu près vingt jours de travail continu.
Un article scientifique sur le boomerang, auquel ont également collaboré François Blondel et Patrice Méniel, est en train d’être soumis à la revue Gallia. Concernant le site, d’autres publications sont disponibles là.
Le boomerang n’est pas une exclusivité australienne, loin de là. Dans l’histoire, de nombreuses populations ont utilisé des boomerangs et autres bâtons de jet. Ou en tout cas il s’agit de l’utilisation la plus vraisemblable d’objets retrouvés par des archéologues, souvent confirmée par des tests. Le plus ancien objet de ce type date de 23 000 ans et a été découvert dans une grotte à la frontière slovaquo-polonaise. Il y en a deux de la même période que celui d’Urville mais ils sont quelques siècles plus anciens, venant d’Allemagne et des Pays-Bas. Mais la découverte la plus exceptionnelle est sans doute la vingtaine de boomerangs luxueux retrouvés dans la tombe de Toutankhamon. Des peintures égyptiennes décrivent assez clairement une chasse aux oiseaux en Égypte, où un officiel debout sur sa barque, aidé de servantes et de rabatteurs, entreprend de chasser des oiseaux avec cette arme.
Ce boomerang gaulois possède une particularité curieuse : il était recouvert de quatre ou cinq lamelles de fer, régulièrement espacées. Les tests n’ont pas permis de trancher. S’agissait-il de lester le boomerang, pour rendre sa trajectoire plus droite ? Ou de le cuirasser un peu, pour amoindrir les chocs ? Quelques indices de réparations le suggèrent.
Pour le boomerang d’Urville et la plupart des exemplaires historiques, l’état du bois ne permet pas de mesurer un réglage important: une légère torsion des pales, qui lui permet de mieux planer et d’avoir une trajectoire plus stable. Les Gaulois l’obtenaient sans doute en ramollissant le bois à chaud (vapeur, trempage). Les chercheurs ont effectué ce réglage empiriquement.
Le bâton d’Urville ne revient pas dans la main du lanceur. En revanche, les tests ont montré qu’il amorce une légère boucle. Ce qui lui procure deux petits avantages. Celle de « ratisser » en quelque sorte la zone où se trouve sa cible. Mais surtout celle de retomber à plat, d’où un risque moindre de se casser.
Alors que je l’interviewais il y a quelque temps, Anthony Lefort m’a mentionné un autre site en Normandie qu’il partait fouiller. Depuis, l’équipe y a découvert des choses intéressantes. J’y serai demain, et vous en parlerai sans doute très prochainement.
Mise à jour : interview audio d’Anthony Lefort sur le site Tendance Ouest