Les gribouillis de l'homme de Java

Une équipe annonce la découverte du plus ancien dessin du monde. Daté de 500 000 ans, ces quelques lignes en zigzag seraient l’œuvre de l’homme de Java.

Bien sûr, il y a comme une impression de déjà vu. Même dessin, et même scientifique. Il y a plusieurs années, le préhistorien Francesco d’Errico, du laboratoire Pacea à Bordeaux, participait à la découverte de ce qui était alors le plus ancien motif de main d’homme. Gravé dans un petit morceau d’ocre rouge de la grotte de Blombos en Afrique du sud (des croisillons, notamment, et d’autres motifs). Aujourd’hui, il est appelé en renfort pour analyser ceux gravés sur une coquille provenant de Trinil sur l’île de Java, en Indonésie.

Mais il y a une énorme différence : la date. La première découverte datait d’environ 100 000 ans et pouvait être raisonnablement attribuée à des populations physiquement très proches de nous, les hommes modernes. Ici, c’est complètement différent. Le dessin, un zigzag tracé d’une main plutôt sûre, est tracé sur un coquillage encore un petit peu maculé de la terre où il se trouvait. Cette terre date de bien avant, à peu près 500 000 ans. Pour la datation, les chercheurs ont utilisé des méthodes éprouvées (l’une basée sur l’argon) pour ces périodes.

Or à cette époque, à Java, on ne connaît guère qu’un hominidé qui croise dans les parages. C’est l’homme de Java ou le Pithécanthrope, qu’aujourd’hui les paléoanthropologues appellent Homo erectus. Il s’agit d’une très vaste famille regroupant des fossiles de l’Afrique à l’Asie couvrant plus d’un million d’années de l’évolution humaine, période d’un accroissement du cerveau sans précédent et de l’utilisation des premiers outils en pierre.

Pour bien comprendre ce qui se joue ici, il faut se placer quelques mois en arrière, quand une équipe internationale à laquelle participait encore une fois Francesco D’Errico, a annoncé la découverte d’une sorte de quadrillage dans une grotte de Gibraltar, à une époque et dans une zone que les néandertaliens fréquentaient. Or penser ces derniers capables d’utiliser des symboles est loin d’aller de soi pour nombre de préhistoriens. Savoir s’ils enterraient leurs morts ou portaient des ornements est toujours l’objet de débats intenses, certains n’y voyant que l’influence des hommes modernes, arrivés en Europe à peu près en même temps que les néandertaliens s’y éteignaient. La découverte de Gibraltar, date de 39 000 ans, soit précisément cette époque : elle n’a donc probablement pas changé les lignes de front du débat.

La mise au jour de ce dessin par l’homme de Java, bien plus ancien est franchement révolutionnaire. Mais tout le monde n’est pas prêt à l’accepter. Il va donc falloir que la découverte soit inattaquable.

Or elle a un point faible. La mise au jour de ce coquillage est ancienne. Elle date de la fin du XIXᵉ siècle. Elle est justement l’œuvre du découvreur de l’homme de Java, le médecin néerlandais Eugène Dubois. Or les fouilles à cette époque étaient loin de remplir les mêmes critères de rigueur scientifique qu’aujourd’hui. En plus d’un siècle, il a pu se passer beaucoup de choses. Y compris la fabrication d’un faux (des exemples existent).

Pour répondre à ces critiques, les auteurs se basent, comme souvent pour ce genre de découverte, sur une analyse au microscope très précise. D’abord, quelque chose a doucement usé le coquillage après la gravure. Et ce quelque chose, c’est vraisemblablement la terre où il se trouvait. Ensuite, la gravure en elle-même n’est pas fraîche.

Enfin, il manque certaines portions du zigzag, alors que son auteur l’a visiblement tracé d’une traite, sans lever son outil. Ce qui s’explique si le coquillage était frais. Car alors, il est recouvert d’une couche brune qui colore le dessus des coquillages (appelée périostracum). Celle-ci finit par disparaître après la mort de l’animal. Au cours du tracé, l’auteur a appuyé plus ou moins fort. Parfois, il a traversé complètement le périostracum, gravant les couches plus profondes du coquillage, parfois non. Une fois le périostracum disparu, seuls sont restées les portions de traits les plus fortes. Un trait dans le périostracum était en blanc sur fond brun et devait se voir particulièrement.

D’autres préhistoriens argueront qu’à cette époque, un hominidé qui sait fabriquer des bifaces, et faire du feu, est bien capable de tels comportements. Que des comportements à caractère symbolique avaient été notés ça et là pour des époques aussi anciennes. Reste que si la découverte est confirmée, ce serait effectivement une première.

Nicolas Constans

Compléments

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