Plus vieux outils : la réaction de Mohamed Sahnouni
La découverte des outils lithiques datés de 3,3 million d’années (Ma) dans le site de Lomekwi au Kenya est une contribution majeure à la connaissance des débuts de la technologie lithique et la manipulation systématique de la pierre par les premiers hominidés, bien que leur fonction ne soit pas encore claire à partir du registre archéologique. Avec l’accumulation des connaissances sur l’utilisation de pierres non-modifiées par les primates non humains, particulièrement les chimpanzés, il n’est pas surprenant aujourd’hui de découvrir des objets lithiques modifiés par des australopithèques il y a 3,3 Ma. Bien que la plupart des chercheurs attribuent la confection des premiers outils lithiques (à partir de ~2,6 Ma) à notre ancêtre direct, le premier Homo, les restes fossiles de cet artisan ont été méconnus jusqu’à la découverte récente d’une mandibule datée 2,8 Ma en Éthiopie.
Les plus vieux outils lithiques bien datés sont assignés à l’Oldowayen et ont été découverts à Gona en Ethiopie. Datés de 2,6 Ma, les outils de Gona, vraisemblablement manufacturés par les premiers Homo, ont été recueillis in situ dans des dépôts sédimentaires à grains fins et ils se comptent par milliers, comparés aux seuls 19 objets modifiés recueillis in situ et un peu plus de 100 spécimens en surface découverts à Lomekwi. En outre, comparés à ceux de Lomekwi, les artefacts de Gona sont technologiquement plus sophistiqués, avec des nucleus et des galets taillés multifaces produisant des éclats à bords tranchants, et des milliers de débris résultant de la taille systématique de la pierre par notre ancêtre Homo à la recherche d’outils tranchants utilisés pour le traitement de la viande. Il est certain que les premiers représentants du genre Homo étaient engagés dans la manipulation systématique des roches en comparaison avec les objets lithiques volumineux et encombrants principalement utilisés pour des activités de percussion par les australopithèques de Lomekwi. Les preuves archéologiques de Lomekwi ne sont pas très solides pour étayer la taille systématique des pierres pour la confection d’outils tranchants utilisés comme des couteaux, par exemple à l’instar de ceux de Gona et ailleurs en Afrique de l’Est et Afrique du Nord, découverts associés avec des ossements fossiles d’animaux portant des traces de découpe qui sont la preuve directe de la consommation de viande. Il semblerait bien que les objets lithiques de Lomekwi pourraient avoir été essentiellement des objets de percussion (peut être utilisés pour casser les noix?), et leur assignation à une sorte d’industrie nouvelle : «Lomekwian» semble justifiée.
La découverte de Lomekwi soulève de nombreuses questions. Par exemple : Pourquoi ces outils 700.000 ans avant le début de la manipulation systématique de la pierre par les hominidés pour fabriquer des couteaux utilisés pour couper la viande? On ne peut que spéculer disant que probablement la technologie ne continua pas, faisant de la découverte de Lomekwi plutôt de la chance et une chose «anecdotique», ou bien la technologie a été perdue et redécouverte à nouveau par Homo il y a 2,6 Ma. Si les hominidés ont continué à pratiquer la technologie lithique après sa découverte initiale vers 3,3 Ma, on se demande pourquoi les objets lithiques modifiés ne sont pas découverts dans d’autres sites archéologiques d’Afrique de l’Est où des centaines de fossiles d’hominidés ont été découverts comme ceux de Hadar (le site Lucy), et bien d’autres du même âge.
En ce qui concerne le contexte géologique dans lequel les objets de Lomekwi sont contenus, les données suggèrent leur perturbation causée par l’action de l’eau. Les sites archéologiques moins perturbés par l’action de l’eau souvent préservent des nucleus/galets taillés (blocs de pierres à partir desquels les éclats et débris ont été enlevés) ainsi qu’un grand nombre d’éclats et de petits débris. A Lomekwi, un grand nombre d’objets recueillis aussi bien en fouille qu’en surface sont des pièces très grandes et volumineuses, et non pas de petits objets. Qu’en est-il arrivé aux petits éclats et débris? On peut arguer que le nombre des petits objets était faible en raison de l’absence de manipulation systématique de la technologie lithique, ou il est probable que les petits éléments ont été lessivés par l’eau s’ils étaient réellement intentionnellement produits, ce qui est peu probable. Les auteurs de a découverte admettent aussi la possibilité de perturbation par l’action de l’eau, bien qu’ils soutiennent qu’elle soit minime.
Malgré le petit nombre d’objets recueillis en fouille à Lomekwi, cette découverte est surprenante, spécialement pour l’utilisation par les premiers hominidés de très gros blocs de pierres pesant jusqu’à 15 kg, qui n’existent pas encore dans les sites oldowayens de 2,6 Ma et ceux relativement plus jeunes d’Afrique. La découverte de Lomekwi ouvre une nouvelle fenêtre pour jeter un regard sur les débuts de la culture humaine, et montre comment les australopithèques étaient comportementalement proches des primates non humains.