Généalogie des cousins de Néandertal

L’ADN humain le plus ancien du monde vient d’être publié. Il provient d’une grotte espagnole. En toute subjectivité, et gratuitement (parce que c’est bientôt Noël), je reviens sur cette belle découverte. Bon, c’est long, mais le sujet le mérite. Vous pouvez le lire sur tablette, sur liseuse ou l’imprimer : En 2010, dans un minuscule fragment de phalange, celui d’une fillette qui vivait il y a plus de 50 000 ans dans une grotte sibérienne, une équipe internationale a découvert un ADN bien particulier.

L’ADN humain le plus ancien du monde vient d’être publié. Il provient d’une grotte espagnole. En toute subjectivité, et gratuitement (parce que c’est bientôt Noël), je reviens sur cette belle découverte. Bon, c’est long, mais le sujet le mérite. Vous pouvez le lire sur tablette, sur liseuse ou l’imprimer :

En 2010, dans un minuscule fragment de phalange, celui d’une fillette qui vivait il y a plus de 50 000 ans dans une grotte sibérienne, une équipe internationale a découvert un ADN bien particulier. Son analyse a en effet montré qu’aux côtés de Néandertal et de nos ancêtres les hommes modernes (Cro-Magnons et consorts), un troisième type d’hominidé existait en Europe lors de la Préhistoire : les Dénisoviens.

Au début, on pensait même à une nouvelle espèce, ou à un hominidé archaïque qui aurait survécu jusqu’à cette époque, sans qu’aucune une fouille ne l’ait décelé. Car cet ADN était vraiment très différent de celui de Néandertal. Mais c’était aussi un ADN un peu spécial, tout petit, et contenu dans des petites structures de la cellule, les mitochondries. Le vrai, ou disons le plus complet, celui qui réside dans le noyau cellulaire, fut analysé un peu plus tard. Et les différences de la fillette de Denisova avec les néandertaliens se sont révélées finalement beaucoup plus ténues : ces deux types d’hominidés étaient des sortes de cousins.

Mais cela ne voulait pas dire pour autant que le premier ADN, le petit, était faux. Au contraire, il était peut-être la trace d’ancêtres un peu exotiques, d’une généalogie plus élaborée. Le problème, c’est que les généticiens ne pouvaient pas remonter plus loin dans le temps. Il était déjà inespéré qu’ils aient pu analyser les génomes de Denisova et de Néandertal, à partir d’ossements âgés de 40 000 à 50 000 ans. À cette date en effet, les séquences génétiques sont déjà fortement dégradées : émiettement en tout petits brins, transformations chimiques, etc.

Puis, en juin 2013, une autre équipe a fait un bond colossal : ils ont séquencé entièrement l’ADN d’un cheval vivant il y a 700 000 ans. Mais le climat avait aidé : le permafrost où se trouvaient les fossiles avait particulièrement bien conservé les séquences génétiques.

Après l’été, en septembre, sont arrivées de bonnes nouvelles. Des archéologues et des généticiens ont en effet annoncé avoir séquencé un ADN d’ours des cavernes daté de plus de 300 000 ans. Et là, pas de permafrost. Les os viennent en effet d’une grotte espagnole, qui n’est pas franchement gelée, quoique de climat très stable. Le site est important et très bien connu des paléoanthropologues (voir plus bas). En le voyant, la plupart des préhistoriens ont sans doute pensé qu’un autre article allait bientôt suivre. Car dans ce site, Sima de los Huesos, il n’y a pas que des fossiles d’ours des cavernes. Il y a des fossiles humains. Donc si un ADN d’ours aussi ancien avait survécu jusqu’ici, il était plausible qu’il en soit de même pour les ADN humains. Ce qui fut fait : l’ADN d’un fémur humain de cette grotte, daté de 300 000 ans vient donc d’être publié.

Que dit l’ADN ?

D’abord, prudence. C’est le petit ADN, celui contenu dans les mitochondries. Donc ce n’est pas le génome complet, loin de là. Mais le résultat est franchement inattendu : cet ADN semble très proche de ceux de la fillette de Denisova. Donc c’est un cousin ? Denisova était là aussi, en Espagne ? Je dis « là aussi », parce qu’en 2010, une des premières choses qu’ont constaté les généticiens, est que les Dénisoviens semblent s’être métissés avec certains des ancêtres des hommes actuels. Or les descendants de ces derniers habitent aujourd’hui bien loin de Denisova. Ils se trouvent bizarrement en Papouasie Nouvelle-Guinée et ailleurs dans le Pacifique.

Où placer Sima de los Huesos dans l’arbre généalogique de l’humanité ?

Soyons clairs. Avec en tout quelques ADN, certains complets, d’autres mitochondriaux, il est absolument impossible de reconstruire cet arbre généalogique. Ceux qui le font vous mentent, lecteur. Les migrations et mélanges possibles sur des périodes de plusieurs centaines de milliers d’années sont tout simplement colossales. Même s’il y en avait moins qu’aujourd’hui, car il s’agissait probablement de petites populations. On peut donc juste imaginer un certain nombre de scénarios plausibles. Mais c’est déjà un grand pas en avant. Car il est désormais possible de remiser au placard certaines anciennes hypothèses.

En particulier, du point de vue de leur anatomie, les hominidés de Sima de los Huesos sont néandertaliens par certains côtés et par d’autres, se rapprochent de celui qui pourrait être son ancêtre, Homo heidelbergensis. Bref, ils semblaient bien pouvoir appartenir à une population ancestrale dont descendrait Néandertal. Mais tout cela est en train de changer. Voici les scénarios proposés par les chercheurs :

Premier scénario : les cousins

Il y a un million d’années, deux groupes d’hominidés se seraient séparés. L’un donne naissance aux hommes actuels et aux néandertaliens. L’autre à Denisova et aux hominidés de Sima de los Huesos, qui sont donc cousins, en quelque sorte. Vu la localisation de ces deux derniers groupes, en Sibérie et en Espagne, il y a de bonnes chances que leurs ancêtres communs aient vécu dans une grande partie de l’Europe. Même raisonnement pour les Néandertaliens, eux aussi très européens. Autrement dit, les deux populations d’ancêtres se seraient vraisemblablement côtoyées sur une grande partie de leurs territoires respectifs. Mais alors, comment auraient-elles pu s’isoler suffisamment l’une de l’autre pour diverger génétiquement ?

Un autre point pose problème. Morphologiquement, les chercheurs ne disposent de pratiquement rien pour décrire l’anatomie des Dénisoviens : une toute petite phalange, et aussi une dent. Une très grosse dent. Qui ne ressemble pas vraiment à celles retrouvées à Sima de los Huesos. Ce n’est qu’un indice, mais il n’est pas en faveur d’un cousinage étroit entre les deux populations.

Second scénario : un étranger et une ressemblance fortuite

En 2013, une analyse approfondie a montré qu’environ 4% du génome de la fillette de Denisova avait de bonnes chances d’appartenir à un hominidé non identifié. Et si c’était les hominidés de Sima de los Huesos ? Il s’agirait donc d’une toute autre lignée que les Néandertaliens et les Dénisoviens, qui aurait fauté avec les seconds (aurait « échangé des gènes » disent pudiquement les généticiens). Quant aux caractéristiques néandertaliennes que l’on retrouve sur les squelettes espagnols, et bien… elles seraient apparues indépendamment, comme cela arrive parfois dans l’évolution des espèces.

Troisième scénario : un cousin très éloigné

Dans cette hypothèse, les hominidés de Sima de los Huesos partageraient des ancêtres avec la population dont sont issus néandertaliens et dénisoviens. Cela expliquerait pourquoi les squelettes espagnols auraient eux aussi des caractères néandertaliens. Mais cela n’expliquerait pas pourquoi deux lignées d’ADN mitochondrial aussi différentes (Denisova-Sima de los Huesos d’une part, et Néandertal d’autre part) existaient dans la même population.

Quatrième scénario : la trace d’un hominidé archaïque

Cet hypothèse introduit encore une autre population. Au cours de pérégrinations en Europe, celle-ci se serait métissée à la fois avec les ancêtres des Dénisoviens et avec la lignée des Sima de los Huesos. Elle aurait laissé sa trace sous la forme de ces ADN mitochondriaux très similaires que les chercheurs ont retrouvés chez ces deux populations. Cet ADN étant très différent de celui des néandertaliens, cette population inconnue n’aurait rien à voir avec ces derniers.

De qui pourrait-il s’agir ? Peut-être les fossiles regroupés sous le nom d’Homo heidelbergensis qui ne seraient donc pas les ancêtres de l’homme de Néandertal. Il y a aussi les hominidés beaucoup plus anciens découvert tout près de Sima de los Huesos, appelés Homo antecessor : peut-être ont-ils survécu jusqu’à cette époque…

À suivre

Pas de réponse claire, donc, sur l’identité des hominidés de Sima de los Huesos. En revanche, l’exploration de la généalogie de tous ces hominidés s’annonce passionnante, maintenant que les spécialistes de l’ADN ancien ont les armes pour remonter jusqu’à 300 000 ans au moins.

Dans l’immédiat, l’une des questions que l’on peut se poser est la suivante : le génome complet d’un des hominidés de Sima de los Huesos va-t-il être publié ? Car les procédures destinées à éviter toute contamination par de l’ADN récent (des fouilleurs, scientifiques, techniciens, etc.) se sont considérablement améliorées et répandues au cours des années 2000. Et les fossiles utilisés dans cette étude datent des années 1990. Les chercheurs disposent donc peut-être de fossiles plus récents et moins contaminés. Dans ce cas, ils sont vraisemblablement déjà en train de les analyser.

Cela dit, si les archéologues ont de tels fossiles, ils n’accepteront pas forcément de le donner aux généticiens tout de suite : pour analyser la séquence génétique de Sima de los Huesos, il a fallu forer près de deux grammes d’os, pour une quantité d’ADN un million de fois inférieure à celle d’un génome complet. Ce qui ramène les chercheurs quelques années en arrière, quand les balbutiements des méthodes nécessitait de sacrifier une grande quantité d’ossements, ce qu’acceptaient rarement les conservateurs de ces fossiles. Mais d’un autre côté, les progrès accomplis dans ce domaine depuis une quinzaine d’années sont constants. On peut donc être raisonnablement confiant sur la capacité de ces équipes à trouver des solutions.

En complément : le dossier du magazine La Recherche sur l’ADN de Néandertal en 2010.

Bonus : Un site déjà exceptionnel

Sima de los Huesos est situé dans un massif montagneux espagnol, Atapuerca, qui a livré entre autres les plus anciens fossiles d’hominidé d’Europe occidentale qui datent d’environ 1,3 millions d’années. Ceux de Sima de los Huesos sont beaucoup plus récents − plus de 300 000 ans − mais pas moins intéressants.

En tout, au moins 28 personnes ont été découverts à partir des années 1990. Ce qui en fait un gisement exceptionnel, comme disent les archéologues. Il livre en effet un échantillon unique de la diversité humaine à l’époque. Un exemple au hasard : c’est le site qui a fourni le plus de fossiles de bassin de toute la Préhistoire, et aussi l’un des mieux conservés. Et avec les bassins, les paléoanthropologues reconstruisent la marche, l’accouchement…

Détail intrigant, les squelettes étaient situés au fond d’un puits naturel de treize mètres de haut. Comment s’étaient-ils retrouvés là ? Mystère. Voir ce dessin (légendé en espagnol) sur les différentes hypothèses.