Au XVIIe, l'étrange reconversion des paysans malgaches

À rebours de l’histoire, des populations ont abandonné l’agriculture pour revenir à la chasse et à la pêche, selon une étude génétique.

Au cours des dix derniers millénaires et en divers points du globe, les hommes ont peu à peu délaissé la chasse et la cueillette pour cultiver des plantes et pour élever des animaux. Ce fut sans doute un point de non-retour pour l’humanité. Car ensuite, les sociétés se sont étendues, se sont organisées, se sont hiérarchisées. Et bientôt sont apparues les cités-états de Mésopotamie ou du Pérou, les royaumes égyptiens, etc. Une accélération de l’histoire, irréversible, était en marche.

Mais une population a fait le chemin inverse : elle a abandonné la pénibilité des labours pour l’incertitude de la chasse, de la pêche et de la cueillette de fruits sauvages. Cette population, ce sont les derniers chasseurs-cueilleurs de Madagascar, les Mikea. Et leur curieuse reconversion vient d’être révélée par une étude génétique.

Premiers malgaches

Tout a commencé avec d’autres préoccupations. Celle de comprendre qui étaient les premiers habitants de Madagascar, alors recouverte d’une épaisse forêt tropicale. Ceux-ci étaient vraisemblablement des chasseurs, arrivés il y au moins deux mille ans, voire même quatre mille ans, d’après des entailles sur des os d’hippopotames découverts en 2011. Mais difficile d’en savoir plus. Car pour leurs armes et leurs outils, ils n’utilisaient visiblement pas de pierres taillées, jamais retrouvées sur l’île, mais sans doute du bois et des plantes, qui se décomposent et disparaissent.

Depuis longtemps, historiens et ethnologues se demandent ce que sont devenues ces populations originelles. Car au XVIᵉ siècle, les récits de plusieurs voyageurs suggèrent qu’elles pourraient avoir survécu. Ils rapportent en effet qu’il existe, au sud de l’île, des chasseurs-cueilleurs.

Justement, les Mikea vivent au sud. Chez leurs voisins, certaines traditions orales les dépeignent comme des êtres étranges et surnaturels. Outre leur mode de vie de chasseurs-cueilleurs, d’autres éléments les singularisent. Par exemple, les Mikea pratiquent une sorte de polyphonie basée sur des hoquets et des voix de fausset, dont les équivalents n’existent que chez les pygmées d’Afrique centrale et certaines tribus bushmens. Il est donc tentant d’imaginer que les ancêtres des Mikea soient des peuples venus d’Afrique, toute proche, pour habiter Madagascar il y a plus de deux mille ans.

Et la tradition orale ?

Mais cette hypothèse, proposée par certains des ethnologues qui les ont approché au cours du XXᵉ siècle, a été fortement combattue par d’autres de leurs collègues. Ils estiment au contraire que les Mikea sont des réfugiés. Ils auraient fui à partir du XVIIᵉ siècle dans ces forêts du sud de l’île pour échapper aux razzias et guerres incessantes des différents royaumes se disputant Madagascar, puis, à partir de 1895, au pouvoir colonial français. Aujourd’hui, certains anthropologues américains vont même plus loin. Ils affirment que les ancêtres des Mikea n’étaient pas des chasseurs-cueilleurs, mais des éleveurs, d’après des témoignages recueillis auprès d’eux (lien en anglais).

Oui, mais jusqu’où remonte réellement la mémoire collective ? Difficile à dire. Car les Mikea actuels, forcément, ont subi l’influence de leurs voisins paysans. Aujourd’hui, ils pratiquent un petit peu l’agriculture − sur brûlis en pleine forêt ou dans de petits jardins − et l’élevage de chèvres, de volailles et de zébus.

Recours à la génétique

C’est pourquoi une équipe internationale incluant plusieurs généticiens a décidé d’en avoir le cœur net. Lors de deux missions dans la Grande Île, ils ont prélevé l’ADN d’un échantillon représentatif des Mikea, et l’ont analysé. Résultat : les Mikea ne sont pas différents de leurs voisins. Ils sont globalement semblables aux autres populations de Madagascar. L’hypothèse d’une population relique s’éloigne.

En outre, les Mikea seraient un des très rares cas de reconversion vers la chasse et la cueillette, comme les Mlabri en Thaïlande (publication en anglais ; voir cet autre exemple en commentaire). Car l’étude le montre : comme la plupart des autres Malgaches, ils descendent d’agriculteurs et d’éleveurs. Et pas n’importe lesquels : deux cultures qui − paradoxe ! − ont popularisé le mode de vie agricole à une échelle sans équivalent dans le monde. Les premiers, ce sont les agriculteurs austronésiens, originaires de Taïwan, qui ont colonisé l’Indonésie et la plupart des îles du Pacifique. Les seconds sont les éleveurs bantous, venus d’une région entre le Cameroun et le Nigéria, qui sont les ancêtres de bon nombre des peuples africains actuels.

Mais le débat n’est pas clos. Car certains anthropologues ont du mal à croire que des agriculteurs aient soudainement décidé d’embrasser la carrière de chasseurs-cueilleurs, créant de toutes pièces de nouvelles traditions. Pour eux, les Mikea seraient bel et bien une population ancienne, qui chassait et pratiquait la cueillette. Seulement, la forêt de ces derniers s’est peu à peu amenuisée au cours des derniers siècles, grignotée par les terres agricoles de leurs voisins. Les mariages avec ces derniers, qui ont peut-être toujours existé, se seraient intensifiés, au point de laver toute trace de leur ancienne origine dans leur génome.

Nicolas Constans

La publication scientifique : D. Pierron et al., Proceedings of the National Academy of Sciences, 2014.

Thèse de Harilanto Razafindrazaka sur le sujet

Merci aux membres de l’équipe, qui étudient de manière plus globale le peuplement de Madagascar, ainsi qu’à Étienne Patin, de l’Institut pasteur

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