L'homme n'a pas créé le maïs tout seul

Le climat est pour beaucoup dans la naissance du maïs à partir de son ancêtre sauvage il y a dix mille ans. Ce n’est pas une création agronomique des habitants de l’Amérique centrale.

Au cours de son histoire, l’homme a domestiqué de très nombreuses plantes : riz, blé, lentilles, bananes, etc. En effet, en se mettant à cultiver des plantes sauvages, il a fait émerger de nouvelles espèces ou sous-espèces, domestiques. Des plantes nouvelles avec des caractéristiques différentes comme des grains plus gros, etc. Pendant longtemps, beaucoup d’archéologues n’ont voulu y voir que la main de l’homme. Peu à peu, ce dernier aurait en effet sélectionné les variétés les plus productives, ou celles qui lui facilitaient les récoltes. Mais ces dernières décennies, de nombreuses études ont fortement nuancé cette hypothèse.

C’est ce qu’indique une nouvelle étude sur le maïs. Plante reine des Mayas et de bon nombre de civilisations américaines, il occupait une place centrale dans leurs religions et dans leurs cultures. Principal aliment des Aztèques, il était personnifié par plusieurs divinités, qui correspondaient aux différentes étapes de sa maturation, comme le dieu Cinteotl ou la déesse Xilonen. Aujourd’hui, les pays américains continuent d’en produire massivement − plusieurs centaines de millions de tonnes de grains chaque année.

Savoir quand et comment les hommes ont domestiqué le maïs est donc une question fondamentale pour les archéologues. Actuellement, ils pensent que cela se serait produit il y a 11 à 10 000 ans. Notamment parce que les plus anciens vestiges de maïs apparaissent il y a 9 000 ans, dans la vallée de la Balsas [lien en anglais], dans l’ouest du Mexique. C’est aussi là que vit aujourd’hui son ancêtre sauvage, la téosinte.

Épis de téosinte, à gauche, et de maïs, à droite. − CC-BY 2.5 https://creativecommons.org/licenses/by/2.5/deed.fr − John Dobley

Épis de téosinte, à gauche, et de maïs, à droite. − CC-BY 2.5 https://creativecommons.org/licenses/by/2.5/deed.fr − John Dobley

Mais cet ancêtre pose problème. Il ne ressemble pas vraiment à sa descendance, le maïs. Par exemple, la téosinte est plus grande et beaucoup plus ramifiée. Et les fleurs mâle et femelle ne sont pas situées aux mêmes endroits que dans le maïs. Les différences d’apparence entre maïs et téosinte sont si importantes que pendant plusieurs décennies, beaucoup ont douté qu’ils soient vraiment apparentés. Au départ, les botanistes les avaient même classés dans des genres différents.

En fait, le maïs semble vraiment façonné pour les besoins des hommes. Pour le moissonneur, la récolte est facile. D’abord parce qu’il repère plus facilement les épis. Car ceux du maïs sont comme fichés sur la tige centrale, tandis que ceux de la téosinte sont plus petits et disséminés sur les rameaux. Ensuite parce que les grains du maïs ont l’énorme avantage de mûrir à peu près en même temps. Alors que pour la téosinte, la maturation prend deux mois. Il faut revenir plusieurs fois cueillir les grains pour éviter qu’ils ne tombent au sol, où ils se perdent et s’abîment. Enfin, un épi de maïs produit parfois plusieurs centaines de grains, contre moins d’une dizaine pour la téosinte. Bref, le maïs semble être une plante plutôt élaborée, différant fortement de son ancêtre sauvage.

Mais une équipe de chercheurs américains et anglais s’est faite la réflexion suivante : quand on compare maïs et téosinte, on se base sur l’aspect qu’a la plante aujourd’hui. Mais qui nous dit que les apprentis agriculteurs d’il y a onze mille ans, côtoyaient la même plante que nous ? Car le climat était bien différent à cette époque. Il y avait en moyenne 40 % de CO₂ en moins dans l’atmosphère. Or le CO₂ a en général beaucoup d’influence sur la croissance des plantes. En outre, le temps était à l’époque moins chaud et plus sec.

Pour connaître l’aspect qu’avait la téosinte préhistorique, les fouilles archéologiques ne sont pas d’un grand secours. Car en général, les plantes anciennes se décomposent et disparaissent totalement. Quand elles subsistent dans les fouilles, c’est généralement sous la forme de minuscules fragments. Ils ne permettent pas d’apprécier la forme générale qu’avait la plante. En outre, les archéologues n’ont mis à jour que très peu de sites pour ces périodes anciennes en Amérique centrale. Mieux vaut, donc, faire des expériences.

C’est ce qu’a fait l’équipe. Elle a cultivé des plants de téosinte sous une serre dont la température et la teneur en CO₂ étaient réglables. De cette manière, elle leur a fait subir les mêmes conditions que celles qui régnaient en Amérique centrale à la fin de la période glaciaire, il y a environ 11 000 ans.

Résultat : la téosinte cultivée dans ces conditions ressemble fortement au maïs, taille des épis exceptée. Mêmes épis fichés dans la tige, même localisation des fleurs mâles et femelles. Dans certains cas, les grains avaient perdu, comme ceux du maïs, l’écaille qui les enveloppe et rend un peu plus difficile leur consommation. Pour parvenir à ce résultat, quelques années de mise en culture ont suffi.

Il y a onze mille ans, la cueillette et la consommation des grains de téosinte était donc vraisemblablement plus facile qu’aujourd’hui. C’est peut-être cela qui a attiré l’attention des anciens habitants de l’Amérique centrale sur cette plante. Peut-être se sont-ils mis alors à en planter les graines pour en obtenir un peu plus. La main de l’homme est donc sûrement pour quelque chose dans la naissance du maïs, mais le climat qui régnait il y a 11 000 ans semble l’avoir aidé.

Nicolas Constans

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