Une nouvelle écriture ?
Huit ans après leur découverte en Iran, des tablettes en argile continuent de faire polémique. Œuvre d’un faussaire versé dans les inscriptions anciennes ? Ou réelle nouvelle écriture ?
À l’hiver 2000-2001, un afflux soudain de vases décorés et d’objets précieux inonde le marché de l’art, en provenance du Moyen-orient. À l’époque, les avis divergent. S’agit-il d’un pillage massif comme le croient certains archéologues, qui révélerait l’existence d’une nouvelle civilisation ? Ou est-ce la production à grande échelle de faux, mêlée à des objets authentiques, comme l’estiment alors des détracteurs ? Plus tard, des saisies de la douane ainsi que des fouilles montreront que la civilisation est bien réelle. Et qu’un grand nombre de ces objets sont authentiques, provenant d’une vallée aride au sud-est de l’Iran, l’Halil Roud. Quant au pillage, il a pris fin.
Mais le mal était fait. Le caractère frauduleux des premières découvertes a instillé le doute. Dans ce contexte, la mise au jour en 2006 de tablettes porteuses d’une écriture totalement inconnue, ne pouvait qu’attiser les polémiques. D’autant que les caractères de ces inscriptions sont simplissimes : des carrés, des triangles, des ronds… « De l’écriture eskimo » persiflera un épigraphiste britannique en 2007.
Circonstance aggravante pour les critiques, c’est l’un des ouvriers travaillant pour les archéologues qui leur a amené la première tablette. Certes, ces derniers ont ensuite mis au jour les deux suivantes lors de fouilles à l’endroit indiqué par le villageois. Mais les supercheries ont toujours existé en archéologie. On peut enfouir quelque chose afin qu’il soit trouvé…
Malgré tout, des chercheurs continuent d’y croire. Jeune archéologue français actuellement à l’université de Téhéran, François Desset vient de publier les progrès qu’il a accomplis sur ces tablettes datées entre 2500 à 2000 ans av. J.-C. environ. Attention, il est loin d’en proposer le moindre déchiffrement. La faute à un trop petit nombre de tablettes − trois en tout. Impossible de les rattacher à quoi que ce soit.
Première constatation, cette écriture inconnue semble employer un nombre très restreint de signes : une vingtaine au maximum. Et cinq d’entre eux constituent plus de trois quarts des caractères présents. Une telle parcimonie peut dénoter une écriture notant des sons, ou des syllabes.
L’archéologue propose également une manière de lire les tablettes. Parfois observée chez les Grecs et les Étrusques par exemple, celle-ci consiste à changer de sens de lecture à chaque ligne : de gauche à droite, puis de droite à gauche, et ainsi de suite. « En effet, avec cette manière de lire, explique François Desset, on s’aperçoit qu’alors, les tablettes présentent des séquences de lettres qui sont répétées. » Mot ? Nom propre ? Difficile de se prononcer plus avant.
La particularité de ces tablettes est qu’elles comportent une autre écriture. Plus courtes, ces inscriptions se trouvent au dos de deux tablettes, et insérée au bas du texte de la troisième. Contrairement à la première, cette écriture est déjà connue depuis le début du XXᵉ siècle. C’est l’élamite linéaire, une écriture iranienne énigmatique qui n’a jamais été déchiffrée.
Les archéologues auraient-ils trouvé un genre de pierre de Rosette, qui traduirait une écriture en une autre ? C’est très peu probable. Car les inscriptions en élamite linéaire sont trop brèves pour constituer l’équivalent du texte dans l’autre écriture.
François Desset penche plutôt pour une sorte de signature. « Le faible nombre de tablettes évoque plutôt les archives d’un particulier. Or en Mésopotamie, les documents que nous trouvons dans ce genre de lieu sont en général des contrats : de mariage, de vente, etc. » Les contractants, les témoins, etc. pourraient ainsi avoir fait inscrire leurs noms au dos ou en bas des contrats, dans leur écriture, l’élamite linéaire.
Toujours des doutes
Mais les sceptiques sont bien loin de désarmer. « Le principal doute pour moi est que les tablettes ont été cuites, volontairement semble-t-il., explique Abbas Alizadeh de l’université de Chicago, Ce genre de pratique est rarissime, car cela risque de les fissurer. » Il pointe aussi les dimensions des tablettes, peu communes, et les informations changeantes sur le contexte de la découverte, « pas vraiment de nature à nous tranquilliser. »
Il faut dire que la description des fouilles, finalement publiée en 2012, prête le flanc aux critiques. Contrairement à la plupart des articles en archéologie, elle ne détaille pas l’empilement des différents types de sols − la stratigraphie. Pas de traces non plus, sur les schémas, des tessons de poterie dont le style permet de dater approximativement les tablettes. Difficile dans ce cas de savoir si les archéologues ont mené les fouilles dans les règles de l’art. Impossible non plus de rechercher des traces d’une éventuelle mystification. Quant aux photos prises sur le terrain, elles laissent un peu perplexes. On y voit notamment une des tablettes, quasi-intacte, si rectiligne et si claire, émerger très nettement de la terre… Tout cela semble un peu trop beau pour être vrai.
Alors, les archéologues seraient-ils victimes d’un coup monté ? Comment le savoir ? Réengager des fouilles au même endroit n’est pas prévu dans l’immédiat. Les équipes doivent aussi composer avec l’instabilité politique en Iran suite aux élections de 2009, qui a pendant un temps gelé les opérations de fouilles. En outre, le peu d’archéologues expérimentés disponibles, sont occupés à étudier les dizaines de sites de cette civilisation. C’est sans doute mieux ainsi, à moins qu’une autre découverte de tablettes ne vienne lever les doutes.
Nicolas Constans
- La publication scientifique : F. Desset, Iranica Antiqua, 49, 83‑109, 2014.
- Merci à François Desset de m’avoir aimablement communiqué toutes les informations dont j’avais besoin. (NB : il n’a pas participé aux fouilles des tablettes). Il estime que si quelqu’un de malveillant avait enfoui les tablettes au préalable, les archéologues l’auraient facilement détecté. En effet, le remblai d’un trou récent est en général beaucoup plus mou que des sédiments anciens.
- L’article de Stéphane Foucart de 2008 sur la civilisation de Jiroft.
- Le témoignage de Massimo Vidale, professeur d’archéologie orientale à l’université de Padoue (un archéologue très expérimenté, dont le sérieux est réputé) : « Quand les deux tablettes ont été découvertes, j’étais en train de fouiller dans une autre zone du tell. Mais j’ai visité la tranchée où Madjidzadeh les a trouvées, j’ai examiné tous ses carnets de fouilles, je me suis penché sur les circonstances de la découverte, tout comme sur les poteries trouvées à proximité. Je suis certain que les tablettes sont absolument authentiques. Il est clair que Madjidzadeh est quelqu’un de difficile, qui m’a d’ailleurs écarté de son programme de recherche. Mais ce n’est certainement pas un menteur ou un faussaire. Le scepticisme de mes collègues n’est dû qu’à une sorte de conservatisme académique. »