Le scorbut, fossoyeur de la ville de Colomb

Les premiers colons espagnols arrivés en Amérique avec Christophe Colomb n’étaient pas des malades contagieux. Selon une étude récente, ils seraient morts du scorbut, lié à leurs difficultés d’adaptation à la nourriture locale.

Au-delà des annonces médiatiques sur une hypothétique découverte de son navire, les premiers pas de Christophe Colomb en Amérique continuent de susciter des recherches scientifiques. À la demande de certains lecteurs, je publie un billet initialement prévu − par hasard − la semaine dernière et volontairement retardé. Nous retrouvons Christophe Colomb un an après la perte de la Santa Maria_, lors de son deuxième voyage en Amérique._

Le 25 septembre 1493, cette fois c’est l’heure. Il faut repartir. Cela fait six mois que Christophe Colomb est rentré de son premier voyage dans la future Amérique. Six mois qu’il est acclamé un peu partout en Espagne. Mais il est urgent de consolider les futures possessions des rois espagnols. Colomb s’embarque alors de nouveau, à la tête d’une flotte imposante de dix-sept vaisseaux et 1500 hommes. Les colons espagnols apportent avec eux grains de blés, pieds de vigne, pois chiches, melons, olives, etc.

C’est en janvier 1494 que Colomb établit la première colonie européenne du Nouveau monde. Ce ne sera pas à La Navidad, le fort qu’il avait fait construire fin 1492 après avoir perdu son navire, la Santa Maria. Car tous les occupants sont morts, certains sans doute tués par des tribus indigènes. Non, Colomb cingle un peu plus à l’est pour fonder La Isabela, au nord de la République dominicaine.

Mais l’expérience va tourner court. Les provisions sont arrivées gâtées, les hommes sont tombés malades. Aux épidémies s’ajoutent les incendies, les ouragans et les conflits avec les populations indigènes. Affamés, épuisés par la construction à marche forcée de la ville, une partie des colons prend même les armes contre le commandant de La Isabela. Les survivants finissent par abandonner le site en 1498 et s’établir au sud de l’île, où les Espagnols ont trouvé de l’or. Quant à Colomb, qui a reçu la visite d’un inspecteur de la reine en 1496, il est rentré en Espagne pour essayer de redorer son blason.

Le début de cet engrenage infernal, ce sont les maladies. D’après le chirurgien de la flotte, près d’un tiers des colons en souffraient dès les premiers jours suivant l’arrivée à La Isabela. Et beaucoup vont mourir. Une hécatombe qui a suscité beaucoup d’interrogations chez les historiens. Les colons espagnols ont-ils eu ces maladies en arrivant sur place : dysenterie, parasites locaux, etc. ? Ou étaient-ils déjà porteurs d’infections avant de débarquer : grippes, variole, typhus ?

L’hypothèse est vraisemblable. Car les populations indigènes de l’île, les Taino, semblent avoir été très rapidement décimées par des maladies. En somme, les navires de Colomb auraient été le point de départ dès 1494 des terribles épidémies qui ont fauché par la suite une grande partie des populations amérindiennes, très vulnérables aux germes européens. Une information importante aussi pour l’histoire de ces maladies, souvent mal connue. C’est le cas par exemple pour la syphilis, dont l’origine, américaine ou européenne, reste débattue, ou le typhus.

Alors de quoi sont morts les colons de La Isabela ? C’est qu’a tenté de déterminer récemment une équipe italo-mexicaine. Ils ont analysé une trentaine des squelettes enterrés dans le cimetière de la colonie. Sur les os de trois-quarts d’entre eux, avait poussé une sorte de revêtement osseux, souvent poreux et rayé de stries. Ce qui évoque le scorbut, qui vient d’une carence en vitamine C. Le corps a en effet besoin de cette dernière, entre autres, pour fabriquer le collagène des os.

Les chercheurs écartent les autres causes. Au vu des signes osseux et de leur répartition sur le squelette, il est peu vraisemblable que les Espagnols soient arrivés d’Europe en étant porteurs d’infections, comme la tuberculose, la syphilis, etc. D’autres pathologies liés à l’alimentation comme l’anémie et la carence en vitamine D ne sont toutefois pas exclues, mais semblent moins probables.

Le scorbut, donc. Une maladie pourtant simple à guérir : un malade du scorbut peut être remis sur pied quelques semaines. Pour certains colons, éprouvés par de longs mois de privation lors du voyage transatlantique, il était sans doute trop tard. Mais les autres auraient dû trouver dans l’actuelle République dominicaine de nombreuses sources de vitamine C. C’est à l’époque une terre particulièrement fertile, aux côtes très poissonneuses, sans compter les lamantins et autres tortues. Il y a du manioc et de nombreux fruits, etc.

Mais les Espagnols ne semblent avoir recouru que très épisodiquement aux ressources locales. À l’époque, l’un des proches de Colomb, Michele del Cuneo, les avaient pourtant passées en revue. Mais beaucoup des fruits de l’île, décrète-t-il, « ne valent que pour les porcs ». Quant aux tentatives d’agriculture, elles sont plutôt mitigées. Pas de quoi alimenter durablement la colonie…

Accaparés par la recherche de l’or, les colons espagnols n’ont pas vraiment le temps de creuser la question. Les textes de l’époque et les fouilles suggèrent que pour se nourrir, ils dépendaient énormément du ravitaillement venant d’Espagne. Or les rations allouées aux colons de base n’incluaient pratiquement pas de vitamine C : blé, vin, jambon, fèves, poissons séchés, biscuits.

Bref, il arrive aux Espagnols un phénomène fréquent chez les colons : une difficulté d’adaptation à un nouvel environnement. Ce qui a souvent entraîné du scorbut. Ce sera le cas des hommes de Jacques Cartier au XVIᵉ siècle avant qu’ils ne reprennent à leur compte un remède local. Au XVIIIᵉ siècle, une meilleure connaissance de la dangerosité du scorbut permit la mise en place de mesures systématiques, comme celles prises par le navigateur britannique James Cook, qui utilisa de la choucroute mais aussi les fruits frais recueillis lors des escales de son bateau.

Nicolas Constans

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