Découverte d'un tronçon de la Route de la soie

À l’aide d’images satellites et de prospections sur le terrain, des archéologues chinois ont découvert plusieurs étapes de l’ancienne route commerciale entre Orient et Occident.

Dunhuang. La porte de l’Asie centrale. Le dernier bastion chinois de la Route de la Soie. Après, il y a le désert du Taklamakan, Samarcande, la Perse et enfin, tout le commerce de la Méditerranée antique. C’est à partir du premier empire chinois, lors de la dynastie des Han au IIᵉ siècle av. J.-C. que commencent à apparaître des signes nets que des produits chinois trouvent leur chemin jusqu’au monde romain, et vice-versa. Bref, que des routes commerciales commencent à s’établir entre Orient et Occident. Et s’il y a eu parfois des postes encore plus avancés de la civilisation chinoise vers l’ouest, Dunhuang en est toujours restée la principale voie d’accès.

Mais à la fin du VIIᵉ siècle apr. J.-C., cette route n’est plus sûre. Car pour accéder à Dunhuang, il faut emprunter un long corridor naturel, encaissé entre deux plateaux. Le premier, au nord, est celui des voisins mongols. Pour les tenir à distance, les Chinois ont construit des siècles plus tôt la Grande Muraille de Chine. En terre crue et en bois, celle-ci n’a pas grand-chose à voir avec celle, considérablement embellie et fortifiée au fil des siècles, qu’arpentent aujourd’hui les touristes dans l’est du pays. Mais au sud, c’est pire.Rien ne les sépare du plateau du Tibet, où règne alors un empire en pleine expansion. Or celui-ci dispute à la Chine le contrôle de la Route de la Soie en Asie centrale. Ses troupes harcèlent donc les convois qui vont vers Dunhuang. Ajoutez à cela, le désert de Gobi, ses dunes, son vent, les reliefs escarpés, et on imagine que les soldats et marchands chinois ne s’engageaient pas de gaîté de cœur dans ce long corridor.

Alors en 691 apr. J.-C., Wu Zetian tranche. Celle qui vient de devenir, après des décennies d’adroites manœuvres politiques, la première − et la dernière − impératrice de toute l’histoire de la Chine, fait déplacer la route plus au nord. Ce sera moins long, et surtout plus sûr. Elle fait construire les relais où les caravanes pourront reprendre des forces et s’approvisionner.

Mais aujourd’hui le désert a gagné. Le paysage s’est desséché. Et un millénaire d’érosion a peu à peu réduit en poussière les traces de cette route royale. Seuls les relais près des points de départ et d’arrivée sont connus. Car ils sont situés dans les vestiges d’anciennes villes et dans des zones toujours aujourd’hui fréquentées par des hommes. Entre les deux, dans les régions désertiques et battues par les vents, personne ne sait vraiment où ils sont.

Par chance, il y a des textes. Car le nom de Dunhuang est attaché à l’une des plus importantes découvertes sur l’histoire de la Chine. Non loin de là se trouve en effet le site des grottes aux mille bouddhas. Creusées à flanc de falaise, ces cavités renferment un ensemble considérable d’anciennes statues et peintures bouddhistes. Or au début du XXᵉ siècle, un moine y a découvert une grotte secrète dans laquelle étaient cachés plus de 40 000 manuscrits. Cet ensemble exceptionnel, ainsi miraculeusement préservé pendant un peu moins d’un millénaire, représentent une mine de renseignements sans équivalent sur le bouddhisme et les anciennes civilisations asiatiques. Bon nombre de sinologues actuels continuent de plancher sur cette impressionnante bibliothèque.

Or il se trouve que deux petits manuscrits issus de cet ensemble aujourd’hui conservés à Paris, à la Bibliothèque nationale parlent de cette route. Ils mentionnent le nom des relais et la distance à parcourir depuis le précédente Par exemple, le relais Gancaoyi est à vingt-cinq li (13,5 kilomètres) du précédent et à cent quarante cinq li (78 kilomètres) au nord-est du point de départ. L’information n’est pas d’un précision folle, car ce ne sont pas des distances à vol d’oiseau, mais celles que parcouraient les convois sur un trajet aujourd’hui inconnu.

Mais des archéologues chinois remarquent qu’à l’époque, les caravanes longent les berges des rivières, et que ce sont là que s’implantent généralement les relais. S’ils peuvent identifier les lits de ces dernières, aujourd’hui asséchés, ils pourront peut-être retrouver les relais.

Alors ils se tournent vers les images satellite de la région. En fait, ils en combinent plusieurs. Car certaines mettent mieux en évidence tel ou tel détail, comme les lits de rivières, ou les lignes droites des restes de la Grande Muraille, au sud de laquelle doivent se trouver tous les relais. Puis, à partir des distances entre les relais, les chercheurs circonscrivent les zones où devraient se trouver ceux qui manquent. Aidés de logiciels, ils passent alors ces dernières au peigne fin. Deux d’entre eux resteront complètement introuvables : ils sont sans doute trop érodés, ou enfouis sous les dunes. Des images et une cartographie fine du relief par laser seront sans doute nécessaires pour les retrouver. Mais pour les autres les chercheurs ont plus de chance. Ils découvrent sur les images trois structures qui pourraient ressembler à des ruines de bâtiments.

En 2013, ils montent une expédition pour reconnaître les lieux. C’est un succès : ils tombent l’une après l’autre sur les trois structures. Ce sont bien des édifices anciens, même si les archéologues n’ont pas encore pu mener de fouilles approfondies. Mais outre la localisation, les premiers éléments semblent confirmer qu’il s’agit bien des relais. Dans le premier site, la collecte des tessons de poterie, des morceaux de brique ou de métal semble en effet indiquer qu’il remonte à l’époque des Tang, pendant laquelle a régné l’impératrice Wu. Entouré d’un mur, large d’une quarantaine de mètres, son plan et ses dimensions cadrent bien avec les relais de cette période. Pour les deux autres, plus grands et très proches l’un de l’autre, c’est moins clair. Ils s’agissait visiblement de sites plus anciens, de l’époque des Han, qui ont continué à être occupés jusqu’aux Tang.

Nicolas Constans

  • La publication scientifique : L. Luo et al., Journal of Archaeological Science, 2014. et un communiqué en anglais de l’académie des sciences chinoise.
  • À tous : mes excuses pour n’avoir pas fourni de carte. Ma connexion internet là où je me trouve est vraiment trop anémique pour en rajouter une actuellement. Je compte vraiment à l’avenir mettre en place quelque chose pour donner des informations cartographiques simples, au moins la localisation des sites. Il faudrait que ce soit gérable facilement par une seule personne. En attendant, vous pouvez, comme le fait remarquer l’un des commentateurs, suivre le lien vers la publication : il y a quelques cartes et images.
  • mise à jour : j’ai rajouté une carte (approximative) ci-dessus. Merci à pour m’avoir signalé cet outil.