La magnifique tombe d'un empereur déchu

Les archéologues chinois fouillent actuellement un site exceptionnel de l’époque des Han, la tombe du marquis de Haihun.

Cela n’a pas duré. Pas vraiment le temps pour Liu He de goûter aux charmes du trône de la Chine impériale. En 74 av. J.-C., vingt-sept jours après son accession au pouvoir, le jeune noble de dix-huit ans est déchu et renvoyé chez lui. Il ne sera donc pas l’un des successeurs de son grand-père, Wu, l’un des plus célèbres empereurs de l’une des plus florissantes dynasties de l’histoire de la Chine, les Han (202 avant J.-C. - 220 après J.-C.)

Deux mille ans plus tard, les archéologues chinois ont découvert sa tombe dans la province du Jiangxi, dans le sud-est du pays. La fouille, qui tient en haleine les médias chinois depuis plusieurs mois, est exceptionnelle. Car la tombe est intacte. A la fois parce que l’eau des nappes phréatiques a permis de conserver son contenu. Mais aussi parce que les pillards, qui sévissent en Chine depuis l’Antiquité, ne l’ont pas trouvée. Ou presque : c’est la découverte de leur galerie qui, sur le point d’aboutir à la chambre funéraire, a permis d’avertir les archéologues.

C’est en effet en voyant apparaître une curieuse protubérance sur la colline où se trouvait leur cimetière, raconte le magazine Newschina, que des villageois, intrigués, se rendent sur place. Ils trouvent des bouteilles d’eau, de la nourriture, des gants, des marteaux et des barres de fer, tout autour d’un trou. L’un des habitants y descend et tombe sur une plate-forme en bois. Le haut de la tombe.

Avertis, les archéologues de la province du Jiangxi débutent une prospection systématique de la zone en 2011. Ils comprennent alors que sept petites buttes avoisinantes sont en fait elles-aussi des tombes, plus petites. Le tout constitue une nécropole immense, de plus de quatre hectares. Grâce aux empreintes très nettes dans le sol des bâtiments en bois aujourd’hui disparus, les archéologues peuvent en relever le plan. Un mur d’enceinte en faisait le tour, percé d’une entrée avec sa route, un ensemble de temples réservés aux rites funéraires, et d’autres bâtiments, dont sans doute des logements pour le personnel attaché à l’entretien du lieu. « Le fait de pouvoir placer cette tombe dans son complexe funéraire, et comprendre l’organisation de ce dernier est déjà en soi inédit », explique Olivier Venture, de l’École pratique des hautes études (EPHE). Mais, commençant leur fouille par les autres tombes, les archéologues ont la déception de découvrir que les pillards les ont déjà visitées, ne laissant pratiquement rien.

Leur surprise n’en sera que plus grande lorsqu’en 2015 ils s’attaquent à la tombe la plus vaste et la plus proéminente, celle où les villageois avaient découvert la galerie. Ils dégagent en effet le haut de la tombe, et mettent au jour l’espace funéraire, une très grande salle en bois de près de 400 mètres-carrés. Comme souvent à l’époque des Han, la chambre funéraire proprement dite se tient au centre. Mais tout autour, il y a les compartiments qui contenaient les offrandes et objets nécessaires à la vie du défunt dans l’au-delà.

Et ces derniers sont pleins.

L’une des choses qui frappe d’abord, ce sont ces monceaux de pièces de monnaie en bronze. Percées au centre et inscrites de caractères chinois, elles étaient originellement enfilés mille par mille sur des cordelettes, aujourd’hui en partie disparues. Il y en aurait plus de dix tonnes.

Mais bientôt, ça et là, mêlés à la boue, apparaissent bien d’autres objets, délicats et parfois finement ouvragés. Leur inventaire est en cours, et leur identification, encore préliminaire. Car l’étude prendra au minimum une dizaine d’années, selon l’équipe, qui annonce avoir mis au jour déjà plus de dix mille objets… Certains, comme c’était parfois l’usage dans la Chine de l’Antiquité, comportent une inscription avec leur date de fabrication et leur fonction, renseignement extrêmement précieux pour les archéologues. Une restauration minutieuse des objets plus fragiles est en marche, dans un vaste laboratoire préfabriqué.

Parmi eux, se trouvait également un paravent en bois laqué (à moins que ce ne soit un étui à miroir), sur lequel se trouverait une peinture de Confucius, ce qui en ferait l’un des plus anciens portraits connus du philosophe chinois, réputé avoir vécu quatre siècles plus tôt. Les archéologues ont également mis au jour des inscriptions et manuscrits sur des lamelles de bambou ou des tablettes en bois (voir Compléments).

Plusieurs objets témoignent du raffinement du défunt, comme cette perle d’ambre de la taille d’un grain de raisin, avec un insecte figé à l’intérieur, ou ces objets et ornements en jade. Il y avait également des armes, des statuettes, des lampes en bronze en forme d’oies avec un dispositif visiblement destiné à en atténuer l’émission de fumée. Et des instruments de musique (voir Compléments).

« Une des pièces qui m’a le plus surpris, indique Olivier Venture, qui a vu l’exposition de certains objets au printemps à Pékin, est un vase de la dynastie des Zhou antérieur de près d’un millénaire à la construction de la tombe. Il témoigne du goût que pouvaient avoir les aristocrates Han pour les antiquités, et probablement aussi du respect dans lequel on tenait la période des Zhou, considérée alors comme un âge d’or. »

Mais ce qui a le plus impressionné les médias chinois et sans doute aussi les archéologues, est la présence d’or, en assez grande quantité. Des boîtes en bois laqué contenaient en effet des petits lingots en forme de sabot de cheval et de pied de licorne. Et l’équipe allait encore en trouver, une fois entrée dans la chambre funéraire, en bois, fermée d’une porte et divisée en deux parties. Dans l’une d’elles se trouvait en effet le cercueil, long d’un peu plus de trois mètres.

Une fois le couvercle extérieur de ce dernier enlevé, en décembre 2015, les archéologues découvrent alors des dizaines de galettes ou grandes pièces en or. Cela porte le total d’objets faits de métal, qui comprend aussi des plaquettes, à un peu moins de 400, une quantité tout à fait exceptionnelle pour cette période. Le cercueil proprement dit, en-dessous, bien que détérioré, laissait voir son matériau, du bois laqué décoré à l’or fin, avec à la tête la peinture d’un petit oiseau, probablement un roselin. Malgré l’immense hangar de protection construit pour protéger les fouilles, les archéologues préfèrent alors examiner le cercueil en laboratoire, dans des conditions contrôlées.

En janvier, les techniciens hissent celui-ci hors de la tombe, le faisant glisser hors de la zone de fouille sur des rails installés pour l’occasion. Puis ils le déposent à l’aide d’une grue télescopique sur un camion, qui l’amène au laboratoire.

Une fois ouvert, les archéologues remarquent un sceau en jade à la hauteur des hanches du squelette ou de ce qu’il en reste. Il porte les caractères « Liu He ». Avec des lettres de Liu He et sa femme à l’empereur, les caractères de son nom sur les galettes en or, ainsi que des inscriptions mentionnant le fief qu’il possédait avant de devenir brièvement empereur, « tout semble montrer qu’il s’agit bien de la tombe de Liu He », explique Olivier Venture.

Les archéologues ont publié récemment une photo de ses dents, bien préservées. Ils vont désormais essayer de découvrir les causes de sa mort et d’identifier son ADN. Les restes osseux semblent en assez mauvais état, comme le montre cette vidéo :

Les archéologues ont néanmoins annoncé avoir trouvé de la nourriture non digérée dans son estomac, dont des pépins d’un genre de cantaloup (melon ovale). Ce qui suggère qu’il est sans doute décédé en été. Une mort peut-être accueillie avec un certain soulagement par le jeune trentenaire, à la dérive depuis son éviction.

(_C’est en tout cas ce que suggèrent les textes : voir des détails sur sa vie dans les _Compléments)

Nicolas Constans

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Compléments

« Cette découverte est tout à fait exceptionnelle, indique Olivier Venture, notamment parce que c’est l’une des tombes aristocratiques les mieux préservées de cette période, qu’elle est vaste, qu’elle renferme des richesses inhabituellement abondantes et en particulier de l’or. » Les seules tombes comparables sont celles de Mawangdui, dans la province du Hunan, mises au jour il y a une quarantaine d’années. Elles datent de la première moitié du IIᵉ siècle av. J.-C. et sont probablement celles d’un marquis et de sa famille. Mais elles étaient en partie pillées. Il n’y avait pas tout cet or, pas ces centaines de milliers, voire millions de pièces de bronze : à Mawangdui, les tombes ne témoignaient pas du tout d’une telle opulence. Mais alors, d’où venait la richesse de Liu He ? Peut-être de la fortune personnelle de ce membre de la famille impériale, ou à une forme de compensation reçue du fait de son passage éphémère sur le trône.

Pourquoi un règne si court ? « Liu He était le petit-fils de la belle dame Li, concubine aimée de l’empereur Wu, qui composa pour elle un magnifique poème, indique Marianne Bujard, de l’EPHE. Prince de la famille impériale, il avait le titre de roi de Changyi, dans l’actuelle province du Shandong. » A la mort de son oncle, décédé sans héritier, il accède au trône, alors âgé d’à peine dix-huit ans. Mais presque immédiatement, le clan royal et divers officiels l’accusent d’incompétence et le renvoient dans ses terres, un fief situé en Chine du Nord-Est (dans la province du Shandong actuel). Il se serait mal comporté, profanant par sa débauche et son irrespect des rituels, la période de deuil impériale. Dépouillé de ses terres et de ses titres, il n’est même plus roi. Ce n’est que dix ans plus tard, que son successeur, qui était pratiquement du même âge et le fils d’un de ses cousins, lui confère le titre de marquis de Haihun, lui donnant un petit fief dans la province du Jiangxi, là où sa tombe a été retrouvée.

C’est en tout cas la version officielle relatée dans la chronique de l’Empire, une explication qui semble un peu trop proche du stéréotype standard du mauvais souverain, fréquent dans les textes de cette époque. « En réalité, explique Marianne Bujard, le régent tout puissant de l’époque, Huo Guang, et son clan s’étaient assurés de la décision en promettant de couper la tête à tous ceux qui seraient d’un avis contraire. Il faut en fait comprendre que [Liu He] menaçait le pouvoir du régent et qu’on lui préféra un autre descendant (le futur empereur Xuan) qui avait été élevé comme un roturier et ne bénéficiait sans doute pas de l’influence et des appuis de Liu He. »

La déchéance. Une fois renvoyé dans son fief, Liu He sombra, d’après les rapports de divers fonctionnaires, comme l’explique Marianne Bujard : « _Il en ressort que Liu He était tourmenté par des cauchemars affreux, qu’il vivait reclus dans son palais, entouré de ses cent quatre-vingt-trois esclaves et de ses seize épouses, dont il eut vingt-deux enfants (11 filles et 11 garçons), qu’il se mouvait avec difficulté, s’exprimait avec effort et se vêtait de façon extravagante. Il y est aussi question de son manque d’humanité et de son indifférence pour le sort de ses sujets. C’est sur la foi de ces rapports que l’empereur Xuan décida que l’ancien roi ne présentait plus une menace et qu’il lui octroya le titre de marquis assorti d’un fief de 4 000 foyers loin du Shandong, en Chine méridionale, près de Nanchang au Jiangxi. On lui interdit toutefois de se rendre à la cour et de participer aux cérémonies du temple des ancêtres. _»

Liu He, débauché ou fin lettré ? La tombe contenait plusieurs manuscrits. Leur identification est encore en pointillés car, fragilisés par un long séjour dans l’eau, il faut en consolider en laboratoire le support, des lamelles de bambou. D’ores et déjà, il semble que les archéologues aient découvert Les Entretiens de Confucius, le Livre des rites, et le Livre des mutations. Une découverte qui a tendance à battre en brèche l’image de dépravé que présentait de lui l’histoire chinoise. « L’idée se fait jour qu’un homme possédant des livres et un portrait du plus grand sage de l’Antiquité [Confucius] ne peut pas être un complet débauché », explique Marianne Bujard.

Les manuscrits. Découvert dans la tombe, le Livre des rites est l’ouvrage de référence codifiant les principaux rituels de l’époque des Han. Les archéologues ont trouvé également des textes médicaux, qui listent un certain nombre de recettes de remèdes, dont certaines étaient déjà connues par des manuscrits des tombes de Mawangdui. Quant au Livre des mutations, c’est le Yi Jing « grand classique de la tradition confucéenne, fondamental dans la culture chinoise », explique Olivier Venture, qui permet la divination par l’étude des transformations possibles du monde à partir de figures appelées « hexagrammes ». Une découverte extrêmement précieuse, car le seul autre exemplaire ancien connu date d’environ 300 ans av. J.-C. (dans l’une des tombes de Mawangdui, mais il n’a pas été découvert en place). Les sinologues pourront donc étudier l’évolution du manuscrit.

Les instruments de musique. Dans les compartiments entourant la chambre funéraire, les archéologues ont mis au jour des cloches chinoises (de taille décroissante et suspendues à un cadre). Le petit vestibule qui conduisait à la chambre contenait lui des chariots à instruments de musique (cloche, cymbales, tambours). « Les instruments de musique qui sont contenus dans un même compartiment était vraisemblablement ceux du marquis, explique Olivier Venture, ceux dont ses musiciens jouaient lorsqu’il pratiquait les rituels aux ancêtres propres à son rang. » Tous ces rituels étaient extrêmement codifiés, particulièrement à l’époque les Han, qui les compilent et les structurent dans des traités.

D’autres objets. La tombe contenait également une abondante vaisselle à boire et à manger. « Elle est probablement liée aux banquets, événements très importants chez les élites Han, souvent représentés dans les tombes des siècles suivants. » explique Olivier Venture. Parfois, les récipients n’étaient pas vides : les archéologues ont ainsi découvert des marrons dans un pot, avec un dispositif destiné visiblement à les servir chauds, d’après des traces de charbon encore visibles. Dans la tombe se trouvait également une clepsydre, un genre de sablier à eau, un élément important à l’époque, quand on sait le caractère minutieux et tatillon de l’administration chinoise, qui pouvait mentionner l’heure exacte où elles avaient reçu ou traité tel document. Une vidéo des fouilles.

Un ensemble de cinq chariots avec vingt chevaux, vraisemblablement sacrifiés, bordait à l’ouest la tombe du marquis :

Une principauté de l’époque des Han. Les archéologues semblent avoir identifié différents sites clairement liés au fief de Liu He et, en particulier, les ruines de sa capitale, Zijin, non loin de la tombe. Toutes ensemble, ces découvertes devraient leur permettre d’étudier de manière approfondie ce que pouvait être un petit état à l’époque des Han. « C’est important, explique Olivier Venture, car l’archéologie de la Chine ancienne est avant tout une archéologie funéraire. Dans le cas présent, on aurait la chance d’avoir les traces des fondations d’une ville qui serait la capitale de cette principauté. Protégée par une double enceinte, elle occuperait une surface de 3,6 kilomètres carrés, avec à l’intérieur un palais s’étendant sur environ 12 hectares. »

Des résultats encore préliminaires, la découverte n’ayant pas donné lieu à une publication, excepté le catalogue chinois de l’exposition.

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