Lucy avait bien un cousin sud-africain
Little Foot, un australopithèque découvert en 1997 a été daté. Il remonte à 3,7 millions d’années, ce qui en fait un contemporain de Lucy. Et de l’Afrique du sud un important berceau de cette famille d’hominidés.
(NB : cet article écrit en 2014 a été mis à jour le 1er avril 2015. Voir ici)
Les plus anciens hominidés sont très mal connus, à travers quelques fossiles rares et exceptionnels comme Toumaï, Orrorin, Ardi (leurs surnoms). Puis leur succèdent les australopithèques. Cette vaste famille a vécu entre 4 et 1,5 millions d’années en Afrique. C’est probablement en son sein qu’a émergé le genre humain vers 2,8 millions d’années environ. Les australopithèques constituent donc un rouage essentiel dans l’évolution des hominidés, scruté de près par les paléoanthropologues.
Depuis longtemps, l’origine de cette famille semblait se situer en Afrique de l’est. C’est par exemple là que l’un de ses représentants les plus anciens, Lucy, a été découverte en 1974, en Éthiopie. Elle date de 3,2 millions d’années. Mais l’étude d’un squelette d’australopithèque sud-africain, après maintes péripéties, semble indiquer que l’Afrique du sud pourrait aussi avoir été l’un des berceaux de cette famille.
Quand Little Foot − c’est son nom − a été découvert à la fin des années 1990 à Sterkfontein près de Johannesburg, les avis étaient unanimes : un merveilleux fossile, indéniablement. Car c’est le squelette d’australopithèque le plus complet à ce jour, loin devant Lucy, pourtant une des références en la matière. Mieux, une partie de ses os sont encore quasi articulés les uns aux autres. Ce qui est très important car dans la plupart des cas, les paléoanthropologues sont contraints d’extrapoler une manière de marcher ou de grimper aux arbres à partir d’os fragmentaires ou éparpillés, quand ils n’appartiennent pas à des individus séparés par des centaines de milliers d’années. En outre, les premières estimations de date semblaient prometteusses. Elle faisait de Little Foot un contemporain des australopithèques les plus anciens comme Lucy.
Mais la voie royale qui s’ouvrait devant ce fossile s’est révélée plus tortueuse que prévu. D’abord parce que Little foot a longtemps été une sorte d’Arlésienne de la paléoanthropologie. Car sa fouille s’éternisait. En effet, il est comme coulé dans du béton : il faut l’extraire patiemment de sa gangue rocheuse, avec des fraises de dentiste. En 1998, on estimait que cette opération prendrait un an ; quinze ans après, elle n’est pas encore achevée. L’équipe du paléoanthropologue sud-africain qui l’a découvert, Ron Clarke, a même fini par l’extraire en bloc en 2011, pour finir son étude en laboratoire.
Ensuite parce que sa datation a été remise en cause par plusieurs études à partir de 2006. Les résultats l’ont alors placé à environ 2,2 millions d’années. Cela faisait de Little Foot un fossile intéressant, certes, mais très classique. À cet âge, il appartiendrait probablement à la même espèce que le tout premier australopithèque à avoir été découvert, en 1924, l’enfant de Taung (lien en anglais).
Pas convaincu, Ron Clarke fait appel à Laurent Bruxelles, de l’Inrap, un spécialiste de la formation des grottes. Arrivant sur place, celui-ci prend conscience de l’ampleur de la tâche. Car Little foot est au beau milieu d’une sorte de bazar géologique. Sur à peine quelques centaines de mètres carrés s’enchevêtrent plusieurs kilomètres de galeries. Certaines se sont effondrées, puis remplies d’éboulis. Ces derniers ont durci, puis l’eau y a creusé de nouvelles galeries, etc. Là-dessus arrivent à la fin du XIXᵉ siècle des mineurs sud-africains à la recherche de chaux pour leur ciment. Ils creusent le sous-sol… à la dynamite. Résultat : aujourd’hui, le site est un véritable champ de mines. Il ne reste plus grand chose.
Sur le papier, l’idée des chercheurs qui avaient réalisé les datations de 2006 semblait limpide. Selon eux, avant d’être bouleversée de la sorte, la grotte était un mille-feuille de deux roches : de la brèche (des éboulis pétrifiés) et de la calcite (la roche qui constitue les stalactites et stalagmites). Et les couches du mille-feuille se seraient déposées les unes au-dessus des autres, au fil du temps. Il se trouve qu’une technique de datation à base d’uranium et de plomb, peut parfois dater la calcite. Donc si on date les restes de couches qui sont en-dessous et en dessus de Little Foot, on aura à peu près son âge.
Mais l’histoire de la grotte semble en fait plus mouvementée. Car en fait de mille-feuille, l’équipe de Laurent Bruxelles a plutôt mis au jour un gruyère. En effet, dans les restes de l’éboulis où se trouvait Little Foot subsistent ça et là quelques vestiges d’anciens trous. C’est l’eau de ruissellement, en provenance du haut la grotte, qui y a lentement creusé des cavités.
Ces trous de gruyère sont apparus après l’arrivée de Little Foot dans la grotte. Car c’est à cause d’eux que le squelette est aujourd’hui coupé en deux, au niveau des fémurs. En effet, la voûte d’un trou situé en dessous de Little Foot s’est effondrée, entraînant avec elle le haut du corps.
Puis un changement climatique ou géologique majeur, a fait que la source du ruissellement s’est tarie. Il s’est alors produit un nouveau phénomène : suintant à travers les éboulis, de l’eau est arrivée dans les trous, y déposant de la calcite. Progressivement, cette roche a donc rempli les trous.
Or c’est cette calcite qui a été datée. Autrement dit, les datations de 2006 et les suivantes datent ce remplissage, qui s’est produit sans doute bien après la mort de Little Foot. Ce qui, à l’échelle géologique, peut représenter des centaines de milliers d’années…
« Globalement, la démonstration me semble tout à fait convaincante », explique Edwige Pons-Branchu, du CNRS. (en savoir plus sur la mise en évidence de ce scénario par les chercheurs)
Retour à la case départ, donc. Celle de la première estimation de date, proposée au moment de la découverte. Laquelle reposait principalement sur la présence de divers types d’éboulis dans la zone. Les plus hauts, donc les plus récents ont livré des restes d’Homo habilis et des pierres taillées. Ensuite, à une hauteur intermédiaire se trouvent d’autres éboulis, avec des australopithèques de 2 millions d’années environ. Enfin, dans l’éboulis le plus profond se trouvait Little Foot. Il a donc de bonnes chances d’être au-delà de 3 millions d’années. Ce qu’un vaste programme de datations entrepris par l’équipe précisera probablement bientôt.
Un an plus tard, c’est chose faite. Les résultats viennent d’être publiés dans la revue Nature. La gangue où se trouve Little foot date d’environ 3,7 millions d’années. « En l’état actuel de nos connaissance, cette datation est des plus robustes » explique Didier Bourlès, de l’université d’Aix-Marseille, spécialiste de ce type de datations. (basée ici sur la désintégration d’atomes d’aluminium et de béryllium) Les mêmes chercheurs avaient déjà tenté ce genre de méthodes il y a une dizaine d’années. Mais encore expérimentale, elle avait produit un chiffre un peu trop élevé (4,1 millions d’années) qui semblait peu probable. Depuis, la méthode a été affinée et surtout, les chercheurs ont pu s’affranchir d’hypothèses qui laissaient alors planer un doute sur les résultats.
Bref, les paléoanthropologues vont devoir faire avec ce cousin encombrant. Car il ne ressemble pas vraiment à Lucy. Et s’il y a un australopithèque en Afrique du sud il y a 3,7 millions d’années, pourquoi n’y aurait-il pas d’hominidés encore plus anciens ? Les chasseurs de fossiles sont prévenus…
Mais comment est mort Little Foot ?
Pour le savoir, il faut cliquer ici.
Nicolas Constans
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Compléments
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La publication scientifique de 2014 : L.Bruxelles et al., JHE, 2014. [le lien a été mis à jour]
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La publication scientifique de la datation, en 2015 : D. E. Granger et al., Nature, 2015.
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Merci à Laurent Bruxelles, Edwige Pons-Branchu et Didier Bourlès.